Quelque 68000 battements de mon cœur auront été nécessaires pour parcourir les 294 kilomètres de la cyclosportive suédoise «Vätternrundan» 2013, les 14 et 15 juin dernier. Approximatif, le chiffre n’est en outre valable que pour ma seule personne et nous étions près de 20’000 à nous aligner au départ de Motala, à environ 200 kilomètres au sud-ouest de Stockholm. Autant dire que cela pulsait fort durant ce week-end de juin. Avec plus de 21’000 inscrits, il s’agit du plus important rassemblement du genre au monde, assurent les organisateurs.
Le parcours nous emmène autour du lac Vättern («rundan» signifiant le tour), de Motala en direction du Sud, vers Jönköping qui marque le début de la remontée sur la rive opposée. Selon l’heure de départ (toutes les deux minutes par petits groupes, du début de soirée le vendredi jusqu’au samedi matin), il fait nuit sur une partie du tracé. Éclairage et catadioptres sont obligatoires entre 23h et 3h du matin. On profite évidemment un peu moins des paysages suédois, mais le défilé de petites lucioles qui signalent les pelotons éparpillés entre le lac et la forêt produit son petit effet. Une nuit blanche bardée de rouge pour un souvenir marquant.
Si le temps est resté sec, cette édition 2013 a été marquée par un fort vent contraire sur les 120 premiers kilomètres. De quoi entamer les réserves des concurrents trop enthousiastes en début d’épreuve. Les 180 kilomètres restant après Jönköping sont plus vallonnés – le parcours totalise un dénivelé positif de 1700 m – et la beauté du paysage au soleil levant ne suffit pas toujours à faire oublier la fatigue qui se fait immanquablement sentir. Après quelques heures de selle, les kilomètres défilent péniblement, les jambes sont plus lourdes et les séances de calcul mental pour estimer le temps restant avant de revoir Motala ne sont pas forcément rassurantes…
Avec près de 20’000 cyclistes sur une même route, on peut s’attendre à des bouchons. Mais, quelques ravitaillements bien fréquentés (et fort copieux soit dit en passant) mis à part, il n’y en a point. La Vätternrundan offre de longs moments de solitude à qui ne trouve pas de peloton à son rythme. Trop lents, trop rapides, trop irréguliers, les compagnons de route idéaux constituent une denrée rare. C’est peut-être pourquoi les Suédois se regroupent volontiers en équipes cyclistes, définies bien à l’avance, et font de cette cyclo le principal objectif de leur saison. Ils visent des temps sous les dix, neuf ou huit heures. La pression est mise même sans classement officiel à l’arrivée. Tels de véritables trains routiers lancés à vive allure, ces équipes assurent leur propre course contre la montre. Au point qu’elles vous rejettent plutôt véhément s’il vous prend l’idée de sauter dans le train et de vouloir assurer un relais. Rien ne doit perturber le plan établi, pas même un peu d’aide supplémentaire aurai-je appris à mes dépens.
Calé a l’arrière d’un tel convoi (ou ma présence est tolérée, ouf) aux couleurs de Lapierre, et après avoir abandonné mon épouse à sa course (elle finira en 10h30), je parcours une centaine de kilomètres à relativement vive allure compte tenu du violent vent et de l’obscurité. Nous doublons de «vrais» populaires sur leurs vélos disparates. Qui sur son vélo de ville, son VTT ou un vélo de route défraîchi et avec pour seul objectif de faire le tour du lac, le chrono important peu. Le véritable charme de cette Vätternrundan, une épreuve fondée en 1966, réside dans cette réunion bigarrée de cyclistes dont le mode de propulsion constitue le seul point commun, en plus d’avoir pris le départ. À plusieurs reprises, je me dis que ce sont bien eux qui ont raison. Ces pédaleurs sans souci qui prennent le temps d’avoir le temps. Pour tout simplement apprécier une belle, certes longue, journée à vélo.
Le train «Lapierre» égaré au gré d’un ravitaillement, les kilomètres de mon dernier contre-la-montre en solitaire de 150 bornes défilent moins vite… Le jour revenu laisse toutefois tout loisir d’admirer le paysage après le lever du soleil, vers quatre heures du matin. Partout des maisons rouges, dans les prés, en forêt et au bord de l’eau, dardées des premiers rayons matinaux… La Suède dans toute sa splendeur. Au gré des routes et des chemins qui serpentent dans cette campagne qui se réveille, le vent se rappelle à notre bon souvenir. Soixante kilomètres indique le panneau. Très peu et beaucoup à la fois. Certains les entameront après un peu plus de six heures de route. Mais, pour la plupart des cyclistes, ce sera déjà bien davantage. La nuque douloureuse, les jambes et les fesses en feu, des menaces de crampes dans les bras et la gorge sèche.
Divine surprise à l’arrivée: la bière est offerte. Une «lättöl», variante locale pratiquement sans alcool. D’ordinaire peu à mon goût, celle-ci sera divine. L’accueil durant tout le week-end chez des amis était encore meilleur, mais là, c’est une autre histoire…
Une belle galerie d’images de l’édition 2013 ici.