VTT à Fully, une planification pleine d’interdictions

« Tu viens de Fully? Cool, je connais le Portail. » C’était il y quelques années, en Espagne, lors d’une discussion avec un cycliste Suisse alémanique. Un autre, davantage amateur de vélo de route, connaissait le Grand Prix Valloton. Voilà pour la petite histoire, notamment celle du chemin du Portail, que je parcours au moins une fois par année depuis 1990, et qui a rendu Fully célèbre parmi les amateurs de Mountain Bike en Suisse, mais aussi en Europe et plus loin encore.

Le sentier avec vue sur le massif du Mont Blanc.

Je vous parle de tout ceci, car la Commune de Fully a soumis à l’enquête publique sa « Demande d’autorisation de construire – Plan des itinéraires de pistes VTT », que chacun a loisir de consulter jusqu’en juillet prochain. Et l’une des mesures dont on cause est… l’interdiction des amateurs de « mountain bike » sur ce même chemin du Portail qui a fait le renommée locale. Coup de pub assuré, mais pas forcément pour les bonnes raisons.

Nouveaux chemins et oubli des existants…

Le dossier de mise à l’enquête prévoit plusieurs parcours pour homologation:

  • Itinéraire régional Dorénaz – Fully – Saillon par Sorniot et Randonnaz
  • Itinéraire « Retour sur Fully » depuis Chiboz
  • Boucle Jeur-Brûlée
  • Tour du Chavalard

Les fichiers GPS (approximatifs dans le cas des sentiers à créer en direction de Sorniot et du Fenestral, car je ne suis pas l’auteur des plans…) sont disponibles au téléchargement ici (zip 70 Ko):

Itinéraires pour homologation - Fully (79 téléchargements )

Itinéraire régional Dorénaz – Fully – Saillon par Sorniot et Randonnaz

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Passage du Portail de Fully

Le projet prévoit d’éviter le chemin actuel du Portail de Fully et d’en créer un nouveau pour accéder plus facilement à Sorniot, notamment en VTT électrique.

Il est pour le moins étrange et dommageable de vouloir escamoter ce sentier iconique du projet et, surtout, de l’interdire aux vététistes. Les arguments avancés dans le document (cohabitation avec les randonneurs à pied, présence du bétail, usure du chemin, danger et dérangement de la faune) pour cette interdiction ne résistent pas à un examen objectif et approfondi :

  • Les randonneurs à pied sont bien plus nombreux entre Sorniot et l’Érié sans que cela ne pose de problème, comme mentionné dans le document soumis à l’enquête.
  • La présence occasionnelle du bétail n’a jamais empêché la circulation des piétons ni des cyclistes ailleurs sur l’alpage, où ce genre de cohabitation est d’ailleurs prévu.
  • Le chemin n’a pas attendu les vététistes pour être endommagé chaque année à la sortie de l’hiver et le bétail n’est pas non plus étranger aux dégâts qui lui sont causés. Des techniques constructives naturelles permettent, si besoin, de consolider les chemins en vue de la pratique du vélo.
  • S’agissant de la faune, je cite le document mis à l’enquête : « On peut encore noter, s’agissant des chemins existants, que leur intégration dans le réseau VTT n’induira pas de dérangement surfacique supplémentaire pour la faune, les vététistes étant encore moins susceptibles de quitter les chemins que les randonneurs. » Et, plus loin : « De plus, pour les ouvrages Sorniot et Fenestral, situés hors forêt et praticables seulement durant quelques mois en été et en automne, la grande faune aura le temps d’apercevoir les vététistes à distance et de s’y habituer. » Un argument parfaitement valable également dans le terrain dégagé du sentier du Portail.
  • Enfin, le document relève que « en plus d’être très exposé, ce chemin qui est actuellement emprunté par les vététistes […] ce qui rend l’itinéraire dangereux et peu attractif, à la fois pour les vététistes et les randonneurs. » Le chemin est certes exposé, mais pas davantage, voire moins, que certains passages des itinéraires « retour sur Fully » et « Jeur Brûlée – Tassonières » détaillés plus loin. Cette différence d’appréciation de la difficulté et du danger du chemin dans un même document est pour le moins sujette à caution. Quant au jugement de valeur « peu attractif », il est assez étonnant pour un chemin ayant fait la célébrité de Fully dans le domaine du VTT.
Au coude du Rhône, chacun veut sa photo… Affluence un jour de Fête de la châtaigne à Fully, en octobre 2018.

Pour éviter le chemin bientôt interdit du Portail, et faciliter le passage des VTT électriques, les autorités proposent donc d’aménager un autre chemin en direction de la cabane, en passant par l’arête « Tête du Portail – Demècre ».

Si la construction de toutes pièces d’un nouveau chemin en direction de Sorniot harmonise le niveau de difficulté et peut servir «d’évitement» pour le chemin du Portail, un peu comme une piste rouge permettant d’éviter la noire, il n’est pas compréhensible de vouloir interdire la variante « originale » à qui souhaiterait l’emprunter en toute connaissance de cause. Après tout, dans « mountain bike », il y a « montagne », avec les dangers éventuels qui vont avec. Comme à pied.

Un endroit prisé des vététistes.

Et si l’on veut ramener les cyclistes vers la cabane de Sorniot, une amélioration du chemin longeant le bisse suffirait à canaliser un grande partie des cyclistes.

Le projet prévoit de « repiquer » sur le sentier qui rebrousse chemin sur la gauche, en direction de l’arête « Portail-Demècre » et de plonger sur Sorniot plus loin.

Bref, interdire le chemin du Portail c’est ignorer totalement ce qui en fait l’intérêt : un effet « wow » ou « Grand Canyon » en découvrant la plaine et le paysage à 360° au coude du Rhône, un sentier certes un peu difficile, mais dans un paysage incroyable et avec cette vue sur la plaine qui en fait le piment pour un souvenir inoubliable. Ignorer cela, c’est ne pas comprendre l’essence même du VTT qui est fait d’émotions, bien au-delà des seuls kilomètres parcourus ou du dénivelé avalé.

Et d’un point de vue touristique, Zermatt ne cache pas le Cervin à ses visiteurs et il semble incroyable que Fully veuille interdire l’icône même qui l’a rendue célèbre parmi les vététistes de la planète.

Sorniot – Chiboz

Entre Sorniot et Chiboz, l’itinéraire proposé emprunte d’abord, moyennant quelques avertissements de cohabitation, le sentier sous les falaises du Grand Chavalard. Puis, entre l’Erié et Chiboz, malheureusement la peu attractive route carrossable. Ce tronçon pourrait facilement prévoir une variante par le sentier entre L’Érié et Lousine. Un sentier par ailleurs pas plus difficile (plutôt moins) que celui retenu entre le torrent de Chiboz et Planuit, évoqué ci-dessous.

Entre Sorniot et l’Erié, il est prévu de conserver le chemin actuel en cohabitation « qui fonctionne déjà aujourd’hui ».

Itinéraire « retour sur Fully »

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Comme le tronçon précédent, la route goudronnée entre Chiboz d’en Haut et Chiboz d’en Bas est sans intérêt pour le vététiste alors que le sentier, peu fréquenté, est nettement plus attractif.

La suite est nettement plus problématique avec le chemin supérieur des Larzettes retenu pour homologation. Ce tronçon n’est aujourd’hui emprunté par personne ou presque dans le sens Planuit – Chiboz et encore moins dans le sens retenu par la planification.

200 mètre de dénivelé positif dans la « descente » sur Fully et un chemin difficilement praticable, tu parles d’un cadeau…
Un chemin soigneusement évité par les cyclistes. En bleu, les itinéraires pratiqués.
  • Les 200 mètres de dénivelé positif, dont la plus grande partie en portage/poussage au départ du chemin, sont rédhibitoires, qui plus est dans le profil général descendant vers la plaine après une grosse sortie en montagne.
  • Cette montée initiale débouche en outre sur un sentier difficilement praticable, même à pied, et dangereux par endroits (falaise au franchissement du torrent Metin, par exemple). Je l’ai testé récemment, en devant descendre douze fois du vélo sur 1 km, pour rafraîchir ma mémoire à son sujet et je me vois mal le conseiller à quiconque ou vouloir le parcourir à nouveau dans ce sens à l’avenir.
  • Ce choix est d’autant plus étrange que des variantes plus attractives existent, là aussi, en direction de Buitonne ou même de Planuit par le chemin inférieur des Larzettes.

Boucle Jeur-Brûlée – Tassonières, par le sentier «Corbassière »

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Même problème que pour le « retour sur Fully ». Cette boucle est extrêmement pénible à la montée, même pour un sportif entraîné en vélo « musculaire » et pour un cycliste moins aguerri en électrique.

Facile cette montée sur plusieurs kilomètres…

Et extrêmement difficile, avec de nombreux portages, aussi à la descente (bonne chance aux cyclistes en VTT électriques), très exposé et dangereux par endroits.

Comme pour le « retour sur Fully », personne ou presque ne passe par là, ce que confirme la « heatmap » Strava, qui permet d’afficher sur carte les itinéraires fréquentés (ou pas) par les utilisateurs de cette application sportive. Il ne s’agit certes que d’indications et pas d’un comptage officiel, mais les tendances sont très claires.

Un chemin où Strava et sa « heatmap » confirment que personne n’y passe aujourd’hui.

Tour du Chavalard

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Ici, le projet suit plutôt bien le tracé déjà emprunté par les personnes à vélo, en le rendant accessibles à celles en VTT électrique, grâce à l’adaptation du sentier entre le bout du lac et le Chemin du Fenestral. Le passage de l’Etroit (fin du tracé ci-dessus) méritera peut-être quelques améliorations ponctuelles pour être plus facile d’accès à chacun.

De manière générale: pratiquants oubliés et interdictions

De manière globale, avec l’ensemble proposé pour homologation, cette planification mise à l’enquête semble oublier l’intérêt des principaux intéressés, les vététistes eux-mêmes, qui auraient pu être consultés au même titre que Valrando par l’entremise de l’association Pro VTT reconnue au niveau cantonal.

L’objectif explicite de «canaliser cette pratique sur des itinéraires particulièrement attractifs», n’est à mon sens pas atteint par cette planification.

Les itinéraires proposés au Portail et sur le coteau de Fully évitent, à de rares exceptions près, soigneusement et malheureusement les chemins aujourd’hui empruntés par les cyclistes. Des chemins déjà empruntés car intéressants, spectaculaires et agréables à rouler.

Interdictions explicitement prévues

Tout ceci ne serait pas trop grave, car personne n’est forcé d’emprunter un itinéraire homologué. Mais les concessions, sous forme d’interdictions sont trop importantes et dommageables:

  • Chemin du Portail
  • Follatères
  • Beudon

La première a été largement évoquée plus haut et je n’y reviendrai pas. Le secteur de Beudon fait partie de l’itinéraire « portail de Fully » publié partout. Il est difficile depuis Beudon et relativement peu fréquenté. Pour ma part, je préfère rejoindre Fully par le coteau de Buitonne. Depuis Chiboz, une bonne partie des vététistes pourrait ainsi être canalisée sur un chemin de retour vers Fully attractif, ce qui n’est malheureusement pas le cas de la solution mise à l’enquête. En l’état, il n’y pas de raison objective pour interdire la descente par Beudon. Oui, le chemin souffre par endroits et mérite un entretien régulier, mais comme d’autres chemins parcourus uniquement par des marcheurs. Et des solutions existent pour cela.

Le secteur des Follatères est pour sa part parcouru de longue date par des cyclistes, sans que l’on ne puisse constater de nuisances intolérables. Alors oui aussi, il s’agit d’une réserve scientifique. Mais une réserve parcourue par une route carrossable et par plusieurs sentiers pédestres. Aucune étude ne mentionne une nuisance accrue des VTT sur les forêts ou la faune, la pratique se faisant sur des chemins existants que les cyclistes, comme mentionné par ailleurs, sont moins susceptibles de quitter que les randonneurs pédestres.

Les trois secteurs où des interdictions sont prévues pour le VTT.

À ce titre, la définition ultérieure de zones interdites « compensatoires » et souhaitée par le Service des forêts est plutôt inquiétante. «Afin de compenser les impacts des VTT sur la forêt, la requérante est également prête à définir deux périmètres forestiers interdits d’accès aux VTT, aux Follatères et à Beudon. Si un premier échange à ce sujet a déjà eu lieu avec le SFNP, les périmètres devront néanmoins encore être précisément délimités, en coordination entre les parties, avant d’être soumis à l’enquête publique», peut-on lire dans le document.

En clair: on va interdire les VTT dans ces endroits, mais on ne vous dit pas encore où exactement dans quelle ampleur (probablement partout). Ce chèque en blanc n’est pas acceptable et l’on se demande surtout sur quoi se base cette demande de compensation.

Double peine: offre itinéraires pas terribles contre interdictions

Pour les vététistes locaux, régionaux et d’origine plus lointaine, ce projet ressemble à une double peine : forcer les usagers à utiliser des chemins inintéressants, voire dangereux, et en «compensation» leur interdire les variantes les plus attractives. Tels que proposés, ces itinéraires sur le coteau de Fully, assortis d’interdictions, sont un autogoal assuré pour la «canalisation» des usagers et l’attractivité touristique de la commune auprès de ce public pourtant jugé assez important pour que l’on veuille lui dédier de nouveaux chemins vers Sorniot et la cabane du Fenestral.

Si le prix à payer pour de nouveaux chemins vers Sorniot et le Fenestral, au mieux accessibles cinq mois par année, est de devoir renoncer à des itinéraires attractifs et praticables toute l’année ailleurs, comme dans les Follatères, alors non merci.

On ne peut ici qu’encourager la Municipalité à promouvoir l’éducation, le fair-play et l’indispensable bon sens pour une cohabitation harmonieuse entre marcheurs et cyclistes sur ses sentiers plutôt que de décréter des interdictions et vouloir «évacuer» les personnes randonnant à vélo en les cantonnant à des chemins impraticables. Mentionné pour le sentier Sorniot – L’Érié, «le choix fort de vouloir promouvoir un tourisme pour tous, y compris au niveau régional, en misant sur une cohabitation empreinte de respect, qui fonctionne déjà aujourd’hui», ne se retrouve malheureusement pas dans les autres propositions retenues pour cette planification.

Des solutions pratiques et pragmatiques, comme une signalisation adaptée, des aménagements simples des tracés et des journées d’entretien (par exemple par l’entremise de l’association Pro VTT) de certains chemins, peuvent être trouvées pour que chacun puisse pratiquer son activité favorite en bonne intelligence et dans le respect mutuel.

Cela nous évitera de nous voir bientôt répondre: « Je connais le Portail de Fully. Pas cool… »

2 réflexions au sujet de “VTT à Fully, une planification pleine d’interdictions”

  1. Merci Joakim pour ce récapitulatif clair et concis. Dommage pour la région cette interdiction et ces fausses bonnes idées d’itinéraires balisé. Je reste convaincu qu’avec du bon sens de tout les parties une cohabitation reste possible. Je venais 1x par saison pour profiter dans ta magnifique région notamment du Portail. Mais avec cette interdiction j’irai certainement ailleurs et mes petits sous aussi. Dommage pour Fully et région. Et cette épidémie d’interdiction cycliste se propage un peu partout chez nous aussi, déplorable…

    Toujours un plaisir de lire ton blog, merci pour ton job

    Salutations sportives
    Kevin, un cyclo Fribourgeois

    • Merci Kevin, toujours sympa d’avoir des lecteurs (et commentateurs) 😉

      Les interdictions sont encore au stade de projet et c’est aussi la raison de l’article, en espérant qu’elles ne se concrétisent pas. D’autres privés et Pro VTT se sont aussi engagés contre cette mise à l’enquête.

      Il est vrai aussi que la tendance générale est un peu inquiétante et souvent en contradiction avec d’autres volontés affichées (cohabitation, tourisme 4 saisons…)

      Bon ride et à une prochain peut-être!

      Joakim

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