L’idée nous (enfin peut-être à moi seulement…) trottait dans la tête depuis un moment: gravir la plus haute montagne de Suède, dont nous nous moquons facilement, nous qui vivons dans les Alpes, au pied de la presque plus haute montagne de la commune de Fully. C’est que « notre » Grand Chavalard affiche tout de même quelque 2900 mètres. Et si ce n’est pas grand-chose (même si certaines voies d’accès ne sont pas toutes simples) dans la région, c’est nettement plus que le Kebnekaise et ses 2097 mètres. Mais lui aussi propose une montée «abordable» et une autre plus technique, équipée en via ferrata.
L’idée, pour y revenir, a certainement germé dès 2017 et notre premier trek en famille sur le Kungsleden, la «voie royale», en Laponie suédoise. Un retour aux sources familiales dans le pays de ma mère, qui a fait son petit effet. Une semaine de marche de cabane en cabane, sans réseau téléphonique ni eau courante qui n’a pas effrayé nos ados et jeunes adultes qui se sont tous annoncés présents pour ce nouveau voyage.
- Dimanche – mardi: Fully-Kiruna
- Mercredi – Kiruna-Nikkaluokta-Kebnekaise Fjällstation (19 km, 4h)
- Jeudi: sur le toit de la Suède, au sommet du Kebnekaise (25,5 km, 1600 D+, 10h)
- Vendredi: Singi-Kautumjaure, 13 km, 4 h
- Samedi: Kautumjaure-Teusajaure, 9 km, 2h30
- Dimanche: Teusajaure-Vakkotavare, 14,5 km, 4 h
- Et encore…
Dimanche – mardi: Fully-Kiruna
Une petite aventure en soi, déjà avec un voyage de quelque 3300 kilomètres en train, de jour pour Hambourg, de nuit avec des couchettes de Hambourg à Stockholm et encore de nuit, après une journée à visiter la capitale suédoise et à faire trempette dans le lac Mälaren, en direction de Kiruna.
Partis dimanche matin peu avant huit heures en Car postal, nous arriverons le mardi vers 14h30 à Kiruna. Le tout dans un confort globalement très bon, notamment dans le train de nuit (qui circule donc de jour en été au nord du cercle polaire…) de la compagnie Vy, qui propose une voiture-restaurant sur la ligne principale et un «bistrot-boutique» sur la liaison régionale entre Boden et Kiruna (quatre heures de train). Une offre bienvenue dans ce train régional dont les arrêts sont plus rares qu’un intercité chez nous. Même si les compartiments à bagages sont remplis de sacs de randonnée, tout le monde n’a pas forcément emporté un pique-nique.
À Kiruna, tout le monde descend, ou presque, quelques randonneurs poussant jusqu’à Abisko pour peut-être se lancer sur le Kungsleden depuis son départ officiel. Pour notre part, nous allons le rejoindre «par le côté» via Nikkaluokta et notre hébergement à Kebnekaise Fjällstation, point de départ de l’ascension du fameux «Keb». Au départ de Kiruna, il nous reste un court trajet en bus (1h25, c’est court ici…) et une marche de 19 km jusqu’à la Fjällstation. Ce sera pour la journée de mercredi.
Mercredi – Kiruna-Nikkaluokta-Kebnekaise Fjällstation (19 km, 4h)
On ne va pas se mentir, pour l’esprit «sauvage» de la Laponie, cette première journée en direction de la Kebnekaise Fjällstation ne coche pas la case, du moins dans sa première moitié. Le bus nous débarque à Nikkaluokta, sur un parking déjà bien rempli d’automobiles d’excursionnistes à la journée (ou sur deux jours avec une nuit à la Fjällstation, sorte de camp de base assez luxueux pour une «cabane» de montagne) et le chemin est du genre «autoroute à piétons». Le paysage est certes magnifique, mais les pylônes électriques et les nombreux hélicoptères nous rappellent que nous ne sommes pas (encore, cela viendra) en terrain difficile. L’itinéraire s’étale sur 19 kilomètres, mais il est possible de le raccourcir de 6 km grâce à un bateau (40 francs par personne…) qui épargne un bout de chemin le long du lac Ládjujávri. Nous sommes venus pour marcher, le choix est vite fait, surtout à ce prix.
À l’arrivée, les installations sont simples, mais confortables. Sauna et douches, local de séchage pour les vêtements, bar et restaurant (il faut réserver son menu unique du soir, mais nous avons pu nous y incruster de manière tardive après une discussion sympathique avec le maître d’hôtel dont l’accent trahit des origines suédoises en Scanie, aussi éloignées que possible de la Laponie). Nous avons trop mangé, de cet omble chevalier vraiment délicieux et le repos «nocturne» (il ne fait jamais nuit ici à cette période) en sera quelque peu perturbé. L’isolation sonore de l’ancien bâtiment où nous résidons y est aussi pour quelque chose, entre les planchers et portes qui grincent et les randonneurs qui rentrent d’excursion à deux heures du matin (rappel, il ne fait jamais nuit…).
Jeudi: sur le toit de la Suède, au sommet du Kebnekaise (25,5 km, 1600 D+, 10h)
On ne va toujours pas se mentir, notre brin de condescendance helvétique au sujet de ce sommet de 2097 mètres nous a un peu explosé à la figure. Peut-être pas l’ascension en elle-même, certes longue et caillouteuse, mais techniquement simple par le chemin ouest, ou «Västra leden», mais bien la descente par un itinéraire différent en direction de notre cabane suivante (Singi), le Durlingsleden.
La montée vers le sommet sud du Kenekaise (il s’agissait du plus haut des deux, mais sa hauteur varie en fonction de la hauteur du glacier et de la neige qui le recouvre, tandis que le sommet nord, réservé aux alpinistes plus expérimentés est tout en rocher) est donc assez simple. On peut toutefois choisir un itinéraire plus technique, qui traverse un glacier et se poursuit en via ferrata. Outre l’équipement nécessaire, on vous demandera d’être bien expérimenté ou de prendre un guide (bureau à la Fjällstation). Mais nous ferons comme l’immense majorité de randonneurs en optant pour le Västra leden. Il passe par le sommet du Vierranvárri (1706 m) et il faut descendre de 200 m, dans le Kaffedalen, avant d’attaquer, toujours dans la caillasse, le sommet du «Keb». La partie sommitale est constituée d’un petit glacier, recouvert de neige la plupart du temps, ce qui évite d’emporter des crampons pour atteindre le sommet. De là, si vous avez la chance d’avoir une météo favorable, la vue panoramique est spectaculaire. Une chance que nous avons eue, malgré un plafond nuageux toujours plus menaçant.
En nombreuse compagnie pour la montée, nous serons par contre vraisemblablement les seuls (facile à deviner, car nous étions les seuls avec un paquetage complet…) à prévoir de poursuivre notre route par un autre chemin plutôt que de rentrer à la Fjällstation. Revenus au Kaffedalen, ou vallée du café, nous bifurquons à droite sur le Durlingsleden déniché sur une carte en ligne, peu sûrs de son existence et de sa qualité, car personne n’en parle vraiment. Ni en ligne ni à la Fjällstation, où un local me confirme toutefois la possibilité de passer là comme prévu pour rejoindre Singi et le Kungsleden.
En fin de journée, nous avons bien compris pourquoi cet itinéraire, tout de même indiqué comme «chemin non balisé» dans un flyer, reste si confidentiel. Il n’y a certes pas de balises, mais pas de chemin non plus. C’est en suivant la trace du GPS et les «cairns» que nous nous frayons un chemin vers la vallée à travers une montagne d’éboulis. Une grosse dizaine de kilomètres à pied qui furent les plus difficiles de la vie de chacun à ce jour… Le pierrier ne pardonne pas les erreurs et il faut rester attentif à chaque pas sur des pierres souvent mobiles.
Au début de la descente, là où la végétation n’existe pas, elles sont encore propres, sèches et offrent une bonne adhérence, ce qui ne m’évitera pas une petite chute, heureusement sans gravité. Plus bas, une averse rend les éboulis glissants, ce qui ne facilite pas notre progression en direction du Kungsleden. Après l’une ou l’autre épique traversée de torrent, c’est avec un certain soulagement que nous retrouvons le «luxe» de la «voie royale», balisée et aménagée (ponts sur les rivières, planches dans les secteurs marécageux, entre autres) pour les trois derniers kilomètres vers la cabane de Singi.
Il est 18h20 lorsque nous l’atteignons après cette épique journée de marche d’un peu plus de dix heures sur des chemins parfois compliqués. «Vous avez de la chance», nous signale tout sourire la gardienne. «En principe nous ne gardons pas les réservations après 18h, mais n’avons pas encore donné vos places à quelqu’un d’autre.» Alors je veux bien être chanceux, mais après cette journée, une autre nouvelle aurait été moyennement appréciée… Le principe (ou l’horaire, 18h c’est tôt) est tout de même assez discutable, car nous avions non seulement réservé, mais aussi payé notre logement. Mais le problème ne s’est finalement pas posé et c’est tant mieux. Quelques tortellinis au jambon tirés du sac et au lit. Personne n’a eu trop de mal à s’endormir.
Vendredi: Singi-Kautumjaure, 13 km, 4 h
Au petit matin (façon de parler, vu qu’il… ne fait jamais nuit, c’est bien vous suivez…) nous sommes plus ou moins reposés et mieux disposés pour admirer la beauté du paysage autour de Singi, posé en bord de rivière au milieu d’un cirque de montagnes, dans un environnement toujours aussi sauvage et immense. Le petit-déjeuner est l’occasion d’utiliser notre Nanopresso de Wacaco, une petite machine portable à espresso qui fera son petit effet auprès des autres hôtes de la cabane. Après une dégustation d’espresso et le petit-déjeuner tiré du sac (note pour la prochaine fois: prévoir flocons d’avoine et cubes de bouillon), car Singi n’offre pas de «boutique» (environ une cabane sur deux permet de se ravitailler en produits secs ou en conserve), nous nous lançons sur un sentier vraiment «roulant» en comparaison de la veille, en direction de Kautumjaure.
Une étape plutôt facile, qui longe la rivière durant toute la journée, d’abord dans une vallée assez large. Puis le cours d’eau s’enfile dans une petite gorge qu’il a lui-même creusée et nous le franchissons sur une spectaculaire passerelle. Le chemin descend encore vers Kautumjaure et la végétation se fait toujours plus présente, notamment sous la forme d’une forêt de bouleaux, tout comme les moustiques. L’antimoustiques dont nous nous aspergeons les tient toutefois à distance… relative. Les bestioles tentent une approche et repartent, mais pas toujours et les nuées d’insectes virevoltants peuvent être lassantes. La plupart des marcheurs, surtout les campeurs, sont d’ailleurs équipés de chapeaux à moustiquaires. En cabane, c’est un peu plus simple, même s’il semble difficile d’éradiquer tous les volatiles avant d’aller se coucher.
La cabane est des plus confortables, avec petit magasin et sauna, de quoi faire une petite toilette bien agréable et prévoir un menu un peu plus «élaboré» qui sera ce soir constitué de purée de pommes de terre (en poudre) et de boulettes de viande, les «köttbullar» (en boîte). Bières, chocolats et bonbons de la boutique nous accompagnent pour la presque traditionnelle partie de cartes en soirée. L’absence d’électricité et de réseau annule la tentation de pianoter sur son téléphone 😉
Samedi: Kautumjaure-Teusajaure, 9 km, 2h30
Nous avons passé une bonne soirée à Kautumjaure et c’est bien reposés (Tibor un peu moins, car à l’étape de 14 km, il a décidé d’ajouter encore un sommet à 7 km de la cabane) que nous nous réveillons vers 8h30. Les rideaux obscurcissants des fenêtres ont été plutôt efficaces, semble-t-il. Ou alors est-ce la perspective d’une étape plutôt facile qui a incité chacun à une petite «grasse matinée», car nous sommes presque seuls au moment de prendre le petit-déjeuner (porridge grâce aux flocons d’avoine de la boutique).
Facile sur le papier, cette journée le sera aussi dans les faits. Nous franchissons assez tôt la rivière avant une longue, mais peu pentue, montée vers un large plateau. La descente vers le lac de Teusajaure et la cabane éponyme est bien plus raide et c’est un à peine plus d’un kilomètre que l’on perd le dénivelé accumulé au cours des huit précédents. L’endroit est très beau, au bord du lac, qu’il faudra traverser demain sur une distance d’un kilomètre. À la rame, grâce à des barques disposées sur chaque rive du lac, ou en bateau à moteur avec un passage fixé à 7h30.
Nous écartons la première possibilité, car elle implique de nombreuses traversées pour notre groupe de six personnes. Les barques sont en effet au nombre de trois, avec toujours un minimum d’une barque par rivage. Le marcheur qui arrive seul devant deux barques peut en prendre une sans autre et traverser. S’il n’y en a qu’une, il peut la prendre pour aller chercher l’une des deux autres en face et la ramener en remorque avant de faire sa «vraie» traversée (vous suivez?) avec une barque. Je vous laisse calculer le nombre de traversées pour notre famille de six, sachant que les barques prennent trois personnes au maximum et dans l’éventualité qu’il n’y ait qu’une barque sur notre rivage lorsque nous voudrons traverser. Si les miens (de calculs) sont exacts, cela signifie cinq traversées pour l’un de rameurs (moi en principe): une traversée pour aller chercher un deuxième bateau, une deuxième pour le ramener en remorque, une troisième avec deux bateaux à trois personnes chacun, une quatrième pour remorquer un bateau sur la rive de départ et une cinquième pour rejoindre le groupe qui vient de traverser. Jouable par temps calme, cela peut en outre se compliquer par vent plus ou moins fort et nous décidons d’assurer le coup avec le transport organisé de 7h30 qui nous assure en outre de disposer de bien assez de temps pour prendre le bus qui passe à 14 heures à Vakkotavare, 14 kilomètres de marche plus loin.
En soirée, nous profitons du beau temps revenu pour faire quelques ricochet sur le lac soudain tout calme.
Dimanche: Teusajaure-Vakkotavare, 14,5 km, 4 h
Le lac s’est bien calmé durant la nuit, mais le vent a tourné, annonçant une importante perturbation pour le milieu de journée. Au vu des nombreux randonneurs qui souhaitent traverser le lac avec la barque à moteur, le gardien de cabane, qui assure aussi la traversée, a décidé d’anticiper les premiers départs, fixés à 7h15 du matin. Il ne devrait pas être trop compliqué de prendre le dernier bus (il y en a deux par jour) pour Gällivare à 14h à Vakkotavare.
Le parcours nous propose une longue montée de huit kilomètres qui nous extrait rapidement de la forêt de bouleaux jusqu’au point culminant à 1000 mètres d’altitude. La traversée d’un plateau entre zones d’éboulis et petites gouilles de montagne offre une vue assez spectaculaire sur le parc national de Sarek, ses montagnes enneigées et ses glaciers. Le tout sous un ciel toujours chargé, laissant échapper l’une ou l’autre petite averse. La «vraie» pluie sera pour plus tard, lorsque nous serons confortablement installés dans le bus pour Gällivare.
Dans la descente, assez raide le long de la rivière, nous devinons la route qui longe la retenue d’eau artificielle de Akkajaure, ainsi que quelques pylônes électriques. Retour à la «civilisation» en douceur avec un dernier café dans la très bien tenue cabane de Vakkotavare, «la plus belle de votre parcours», s’enorgueillit la sympathique gardienne. La plus soignée, assurément. Le bus s’arrêtera encore une quarantaine de minutes à l’hôtel de la Stora Sjöfallet, pour une agréable collation dans un cadre nous paraissant soudain très luxueux.
À Gällivare, c’est dimanche, il pleut et la ville nous paraît bien triste à l’heure de monter dans le premier train de nuit en direction de la Suisse. Bientôt la fin du voyage, avec à nouveau des souvenirs et des images plein la tête. Des rencontres, des douleurs aux pieds, aux jambes, aux épaules, aux dos, des paysages somptueux, des pierriers, des névés, des parties de cartes perdues ou gagnées, des voyages à la rivière pour remplir le seau d’eau fraîche ou aller vider l’eau de vaisselle, la cuisine au gaz, les boutiques rudimentaires, les gardiennes et gardiens, tous sympathiques avec leurs caractères différents, la vie simple au grand air, quelques piqûres de moustique tout de même, et surtout, le soleil, le jour qui dure, qui dure… Presque autant que notre plaisir sans cesse renouvelé de simplement être là, tous ensemble.
Et encore…
- Une vidéo « reel » de Tibor sur Instagram