C’était un mercredi du début du mois de juillet. Une journée ensoleillée et chaude. Splendide. Parfaite pour une sortie «à bloc». J’avais prévu une course le dimanche suivant et je pensais que ce mercredi serait le jour idéal pour tester ma condition du moment. Je me sentais pas mal en forme et je «sentais bien» cette course du dimanche suivant… (Photo de titre – Filip Mishevski sur Unsplash)
Cette course était une course de côte dans le Haut-Valais. Je la connaissais très bien pour y avoir participé plusieurs fois, avec des résultats souvent satisfaisants. J’ai toujours fait des sorties «test», et j’ai porté beaucoup d’importance à mon ressenti pendant ce type de sorties. Alors, comme souvent, mon parcours de référence était la Combe de Voos, une montée assez roulante, qui ressemblait fort au parcours de dimanche. On verrait bien !
Je suis arrivé au pied de la montée et la première évaluation de ma forme, c’est tout de suite après le pont. Une portion loin d’être raide, mais elle met les jambes à l’épreuve assez rapidement. Si l’on est trop agressif, on est vite essoufflé. Je passe le pont et commence à doser mon effort, j’arrive à hauteur de la cave Emery avec encore «du jus». Cela me servira pour la partie roulante qui s’ensuit et me mène jusqu’à mon second point de référence. Celui-ci est plutôt dans la dernière partie de la montée. Au départ de cette portion, on bénéficie d’un petit replat avec un mazot à gauche. Juste après, le pente devient légèrement plus raide et ça continue de grimper régulièrement jusqu’à la forêt qui débouche à la fontaine de La Place.
Ici, il est très important de garder le braquet et un bon rythme, car cette partie est assez longue et l’on «coince» assez facilement si l’on ne fait pas attention. Pour moi ce jour-là, cela s’est bien passé et je suis arrivé à La Place encore frais et motivé… «Voyons maintenant si je peux emmener le gros plateau jusqu’à la route de Luc (qui part vers Lens)», me suis-je dit. J’étais dans un grand jour, les jambes tournaient comme dans de l’huile. «Ça marche sur le «big dog»!»
Pour garder l’allure, je prends le dernier lacet avant la grande route bien au large. Mais, à la sortie du virage, je dois me mettre droite/gauche ! Bon, un croisement de chaîne pour quelques secondes n’est jamais trop grave. Voilà, j’arrive au bout de la montée et je suis très content de mon test: j’ai de bonnes sensations et c’est de bon augure pour ma course. Mais, allez, encore juste un dernier petit effort : le mur qui mène à l’église de Saint Romain. Court, mais raide. Après la Combe de Voos à fond, c’est un bon dernier indicateur de ma forme du moment.
Je relance, donc. Yes! Le coup de pédale reste bon, constant, puissant et fluide. Mes sensations se confirment, la forme est au rendez-vous!
Au milieu du mur, j’entends un petit bruit «scouic, scouic, scouic…» Punaise, quelqu’un revient sur moi! Je jette un regard sur la gauche et je vois d’abord une jante. Mais ce n’est pas une jante dernier cri: elle est plate et chromée. Bref, une jante d’une autre époque. Ensuite, la fourche du vélo apparaît dans mon champ de vision. Elle est tout aussi chromée, et courbée en plus. Bref, une fourche d’une autre époque… Puis viennent les cocottes, recouvertes d’un caoutchouc beige, avec les câbles de freins sortant sur le haut des leviers et retombant en une boucle gracieuse vers le cadre. D’une autre époque aussi… Enfin, les manettes de changement de vitesse… sur le tube diagonal du cadre! WHAT????
J’étais vraiment perplexe! Qui revenait ainsi sur moi? Comment était-ce possible? J’étais dans la forme de ma vie et quelqu’un revenait sur moi avec un vélo d’une autre décennie ? Qui cela pouvait-il bien être ? Rapillard en mode rétro ? Faiss (Jo ou Caro) sur son vélo de l’Eroica? Corti en «comeback» avec le vélo de son père ?
Et tout d’un coup, je le reconnais: Émile, le patrouilleur d’Anzère! Il est en short, t-shirt et des Crocs aux pieds! Sur son dos un sac, plein de commissions. Dépassant du sac, une baguette de pain. J’ai voulu crier MERDE, mais Émile m’a lancé un «salut» avec un grand sourire en continuant de pédaler et en me distançant.
J’étais complètement déconfit, mais personne n’est plus gentil, ni n’a un plus beau sourire qu’Émile. Et quand j’ai réalisé que le «scouic, scouic» précité était le son de ses Crocs en caoutchouc qui frottaient contre le pédalier, je n’ai pu que secouer la tête en riant. En le regardant s’éloigner, la baguette qui dépassait de son sac à dos semblait étrangement prendre la forme d’une épée…
De retour à la maison, je m’assieds à table avec ma femme, nous buvons un café et bavardons. Mais je suis ailleurs. Je suis déjà au départ de la course de dimanche. Je me sens très en forme, confiant, puissant (presque gonflé) et prêt pour la gloire. Mais, soudain, une petite ombre se forme au-dessus de ma tête. C’est très bizarre, car il n’y a pas un nuage dans le ciel ! Je lève la tête et juste au-dessus de moi, je vois, suspendu à un fil très fin, un sac à dos à l’envers et fixée dessus, une paire de Crocs. Pointant vers le bas, sortant du sac, une baguette, bel et bien en forme d’épée!
Mon épouse me ramène à la réalité d’une tape sur le bras: «Alors, tu es prêt pour ta course ?» Je soupire, la tête baissée, pensant toujours à cette «épée-baguette» avant de répondre à voix basse: «Bof, je crois que je vais laisser tomber jusqu’à l’année prochaine!»