Encore un peu de Chianti? me lance la bénévole au ravitaillement de Montalcino. Au premier ravito, je n’avais pas osé. Nous étions certes en route depuis plus de deux heures, mais il n’était alors que 8h20 du matin et je me suis contenté de pain, de fromage, de saucisson et d’une grappe de raisin…
Car, oui, il en va ainsi des ravitaillements sur le parcours de l’Eroica, cette « randonnée » en vélos et tenues d’époque qui sillonne la région de Sienne, pour bonne partie sur des chemins blancs, sans goudron et tout autant « d’époque » que le reste.
Alors comme nous étions venus autant pour la nourriture italienne que le vélo et les magnifiques paysages sous l’unique ciel toscan, je n’allais pas refuser un deuxième service de Chianti à Montalcino. Surtout que, d’après le profil du parcours, la plus grosse « bosse » du parcours, avec ses presque 500 mètres de dénivelé sur chemins blancs, était derrière. Alors, va pour le Chianti. Même si j’allais découvrir plus tard qu’il ne faut jamais sous-estimer les bosses plus faciles sur le papier…
Jusque-là, tout avait été magnifique et le sera encore, malgré la fatigue. Avec mon épouse Caroline nous nous sommes élancés de Gaiole in Chianti vers 6 heures du matin, à la lueur des lampes. La veille nous avions complété notre équipement (on trouve tout, tout, tout au marché du vélo de Gaiole) par une tenue en laine, Molteni à la « Merckx » pour Caroline, Peugeot pour moi, histoire d’être assortis à nos vélos. Pas question de porter du Lycra au milieu des quelque 8’000 partants (sur les différents parcours), parfois juchés sur des vélos d’avant-guerre, monovitesses et avec la tenue qui va avec…
Six heures du matin donc, et 209 kilomètres au programme avec pas loin de 4’000 mètres de dénivelé, sur plus de 110 km de chemins que l’on appelle aujourd’hui « gravel », des côtes à 15%, parfois un peu plus, parfois un peu moins. Et un vélo de 1981 équipé d’un plus petit développement de 42 x 24. Passages en force inévitables pour qui veut rester sur son vélo et ma fierté personnelle dans ce domaine m’a occasionné des crampes dans les… bras à force de tirer sur mon guidon dans la montée vers Monte Sante Marie, au kilomètre 156 assez précisément.
Peu après le départ, la nuit nous vaut le privilège d’affronter le premier secteur de gravier à la lumière des torches dans la montée vers Castello di Brolio. D’autant plus magique que, dans la descente, le jour commence à poindre. Le soleil émerge péniblement de la brume qui s’est posée sur la campagne. Il n’y a pas de chrono sur l’Eroica et les participants s’arrêtent pour quelques séances photo dans ce magnifique décor.
En nous approchant de Sienne, que nous ne ferons qu’effleurer, nous croisons quelques automobiles, dont la modernité paraît presque incongrue et anachronique au milieu de tous ces cyclistes en tenues des années 1980 et précédentes. Les chemins de terre précédant le premier ravitaillement nous donnent le sourire. On peut rouler vite sur ces machines dont je commence à apprécier le confort des tubes en acier et les qualités mécaniques. Le doux cliquetis de la chaîne mis à part, aucun bruit douteux, ni de grincement étrange ne viennent perturber la sérénité de l’instant… jusqu’à la cohue bon-enfant du ravitaillement qui se présente au détour d’un virage.
Là, c’est le festival des couleurs, des maillots et des casquettes. Ça discute sec et l’enthousiasme du début de course est contagieux. On repart repus et confiants pour la suite. La montée vers Montalcino d’abord. En pente douce pour commencer, dans une belle allée de cyprès. « Parfait », me suis-je dit. « Si c’est comme ça jusqu’en haut, aucun souci. » Mais qui a dit que ce serait facile?
La suite, ce sont donc plusieurs passages à 15% où il faut s’arracher si l’on veut conserver une cadence et une vitesse permettant un semblant d’équilibre, même si je ne me défends pas trop mal dans le surplace (très utile pour respirer un peu…). On s’arrache donc et notre fierté est sauve au sommet, même si l’on se met aussi à douter du bien-fondé de ce violent effort. Surtout qu’il reste encore plus de 120 kilomètres à parcourir.
À Montalcino, jolie petite bourgade perchée sur une colline à 600 mètres d’altitude, la pause sera plus longue, mais le menu identique. Pain, saucisson, fromage, raisin et double rasade de Chianti cette fois.
Après une bonne descente sur le goudron, le parcours nous emmène vers Buonconvento, avec évidemment quelques détours sur les chemins de campagne qui provoquent la seule crevaison de la journée pour Caroline, sauvée par les amis Yves Corminboeuf et Jean-Marc Chabbey. Ils nous rattrapent à point nommé et remplacent le boyau en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire ou presque.
Comme c’est quelque chose que je ne sais pas faire, j’avais opté pour des roues à pneus, sans souci à signaler sauf quelques rayons à resserrer de temps en temps…
Arrive Buonconvento, au kilomètre 127 et l’on se dit que ça va le faire. Il est 13h et nous prenons vingt-cinq minutes de pause, en ajoutant un bol de soupe au menu habituel. Villes et villages sont en fête, les bénévoles serviables et enthousiastes. Même s’il reste encore un bon bout de chemin à parcourir, on a envie de faire durer le plaisir.
Sans difficulté particulière, le tronçon jusqu’à Asciano, où se trouve le prochain ravitaillement, nous permet d’apprécier le paysage et le privilège de rouler dans ce qui ressemble à un tableau de la Renaissance. Au ravito encore repus du festin de Buonconvento, l’arrêt sera plus bref et nous tombons sur nos amis Joséphine et Fabien, avec qui nous finirons cette aventure.
Et là… Je pensais que la montée vers Montalcino serait la plus dure de la journée. C’était sans compter sur les « murs » successifs après Asciano, jusqu’à Monte Sante Marie. Alors oui, avec un peu moins d’amour-propre mal placé on monte à pied et tout va bien. « Mais on va quand même leur montrer à cette équipe qui se la joue depuis un moment de quel bois on se chauffe. Ou pas »? suggère le petit lutin en moi. Alors ils ont vu. Et moi aussi, avec des crampes aux bras. Le gag. Moins drôle, un petit mal de tête qui s’installe. J’ai dû manquer de Chianti au dernier ravito… Heureusement, celui de Castelnuovo Berardenga nous tend les bras et tout rentre dans l’ordre. J’ai bu du Chanti, mais aussi, je l’avoue, un peu de Coca-Cola.
Là, ça repart comme en quarante. Les bosses sont moins raides, les chemins un poil plus propres et passé les 170 kilomètres, ça commence à « sentir l’écurie ». Il nous reste un peu de force et on appuie sur les pédales. Peut-être rentrerons-nous avant la nuit? Sauf que le dernier ravitaillement était 10 kilomètres plus loin que je ne le pensais et qu’il n’y en avait même plus du tout en arrivant à Radda. La seule petite déception de la journée lorsque l’on se réjouit du pain et du saucisson avec son petit coup de rouge (et les succulents gâteaux ai-je découvert en cours de route). Alors, c’est le système D avec une petite mousse et un sandwich au bar local avant les 9 derniers kilomètres jusqu’à Gaiole. À la nuit à peine tombée, c’est un village en fête qui nous accueille, comme les 8’000 autres « finishers » de l’Eroica, les « eroici » comme on les appelle par ici.
Nous avons roulé du lever au coucher du soleil, peiné, sué, poussé sur ces satanées pédales tout au long d’une inoubliable journée. On nous fête comme des héros alors que c’est nous qui avons juste envie de dire merci. Avant de reprendre un peu de Chianti…
La galerie de Caroline
Y aller, quand, comment?
C’est peu dire que d’Eroica est l’événement de l’année à Gaiole in Chanti. Durant la semaine qui précède cet événement qui a lieu le premier dimanche d’octobre depuis bientôt 25 ans, tout le village se pare de ses plus beaux atours cyclophiles. Et, outre les parcours du dimanche, les animations ne manquent pas. Surtout sur le marché du vélo ancien, où vous trouverez tout, du vélo complet en passant par la pièce de rechange improbable en passant par votre tenue (complète aussi) s’il le faut. Tout Gaiole vit et respire Eroica un peu plus fort que d’habitude lorsqu’il n’est « que » le départ du parcours permanent de l’Eroica.
Les inscriptions ouvrent début février et s’il a longtemps fallu vraiment se dépêcher pour obtenir son sésame (le nombre de participants était limité à 5’000), cela a semblé se détendre un peu ces dernières années, puisque nous étions plus de 8’000 en ce 6 octobre 2019. Et quelques semaines avant l’événement il était encore possible de s’inscrire en y mettant le prix. Au début de l’année, ce dernier était de 85 euros et on en a vraiment pour son argent. Outre l’organisation générale, le balisage, les plantons sur le parcours et les ravitaillements gargantuesques, le prix souvenir était vraiment bien fourni. Dans une boîte en fer aux couleurs de l’événement on trouvait ainsi une bouteille de Chianti (tiens!), des pâtes, du riz, une casquette, une affiche, du café moulu et quelques autres surprises. Sans oublier le petit carnet à faire tamponner aux différents postes de contrôle, souvent dans des endroits pittoresques. Et à l’arrivée, « spéciale finisher », devinez quoi? Une bouteille de Chianti! Vous aviez deviné, rassurez-moi!
Votre vélo doit dater d’avant 1987, avec les vitesses au cadre et les gaines à l’extérieur. Les pédales automatiques sont proscrites et les roues doivent compter au moins 32 rayons (personne ne les compte, mais on vous le conseille de toute manière si vous voulez arriver au bout des 110 km de gravier où les trous et autres vagues de freinage ne manquent pas).
Le reste de l’équipement compte moins, mais tout le monde ou presque fait l’effort de s’équiper « d’époque ». Les casques modernes sont tolérés, mais assez rares. De nombreux cyclistes choisissent par contre de rouler avec de simples chaussures de sport sans que grand monde ne s’en émeuve. D’autres ne tolèrent aucune faute de goût et sont « nippés » de la tête aux pieds. Nous sommes en Italie que diable, et ce n’est pas pour rien qu’un « concours d’élégance » a lieu le samedi dans les rues de Gaiole.
- Infos: eroica.cc
- Galerie d’images sur le site de l’Eroica.