Comment la motonormativité façonne-t-elle notre monde?

Le titre de cet article est celui de la conférence de PRO VELO Valais, suivie d’une table ronde à laquelle je suis invité, le 27 mars 2025 à Sion. De manière un peu plus crue, je dirais «Comment l’industrie automobile et pétrolière nous lave le cerveau depuis cent ans?» Au point que je lis dans Le Nouvelliste du jour qu’une maman de Chamoson s’inquiète que ses enfants doivent marcher 470 mètres pour aller à l’école. Quatre cent septante mètres. Oui, moi aussi, je l’ai relu trois fois.

Se passer de bagnole c’est donc dur, preuve de la réussite du lavage de cerveau entamé il y a une centaine d’années. C’est en effet depuis les années 1930 que l’industrie automobile et pétrolière a progressivement imposé son modèle de mobilité (toute ressemblance avec les cigarettiers est évidemment fortuite) dans le monde entier, au détriment des piétons, cyclistes et transports en commun. Les villes du monde entier ont été redessinées pour accommoder l’automobile. Les réseaux routiers se sont étendus, souvent au détriment des espaces piétonniers et cyclables.

Cela a débuté avec la criminalisation des piétons. Les automobiles commençaient à tuer et blesser des gens. Elles étaient plutôt mal vues et il fallait que cela change, en imposant des règles… aux piétons.

Le concept de « jaywalking » (traversée illégale) a été introduit par l’industrie automobile dans les années 1920 aux États-Unis. Le terme « jay » dans jaywalking était à l’origine une insulte, signifiant « péquenaud » ou « plouc ». En gros, les piétons qui ne respectaient pas ces nouvelles règles étaient des personnes ignorantes ne sachant pas se comporter en ville. Premier bel effort, réussi, de l’industrie automobile.

Affiche de propagande anti-piétons diffusée en Pennsylvanie en 1937 (Isadore Posoff., Work Projects Administration Federal Art Project, Pennsylvania)

Suppression des transports en commun

Dans les années 1940, le rachat des entreprises de tramways à Los Angeles par un groupe emmené par General Motors s’est déroulé dans le cadre d’une stratégie plus large visant à promouvoir l’usage de la voiture au détriment des transports en commun électriques. Après l’acquisition, la société a immédiatement abandonné les tramways électriques au profit des bus à moteur, principalement fournis par… General Motors

Lobbying et influence politique

À l’échelle mondiale, les industries automobile et pétrolière ont mené des campagnes de communication agressives, présentant la voiture comme un symbole de progrès et de liberté individuelle. Cette stratégie a été efficace partout. Les plans grandiloquents pour faire place à l’automobile dans les villes et en-dehors ont fleuri dans tous les pays, parfois arrêtés juste à temps, mais pas toujours. Même Amsterdam a failli être traversée par des autoroutes urbaines au début des années 1970.

La motonormativité comme résultat

Le résultat de tout ceci tient dans le mot «motonormativité», ce biais cognitif qui valorise, privilégie et normalise l’usage des véhicules à moteur, en particulier la voiture individuelle, comme principal moyen de transport. Au détriment, bien sûr, de tout le reste. Cela se retrouve partout: dans l’aménagement des routes, des rues, du territoire (avec des centres commerciaux accessible uniquement en voiture), sur les autocollants « attention angles morts » des camions ou dans la manière dont les médias relatent les « accidents » causés par « une voiture », qui parfois prend même la fuite. Sans parler du déneigement des pistes et bandes cyclables 😉

L’attitude «d’abord la bagnole, après on verra», c’est de la motonormativité. Et c’est cela qui doit changer.

Photo de titre: Spring Street à Los Angeles en 1905, avant l’apparition de l’automobile qui est venue mettre le bazar que l’on a ensuite organisé pour elle.

Conférence «Comment la motonormativité façonne-t-elle notre monde?» Jeudi 27 mars à 19h à l’Aula Energypolis (n° 23, entrée nord), à Sion. Suivie d’une raclette.