Alexi Singh Grewal, Champion olympique de vélo sur route à Los Angeles en 1984, est né à Aspen. Son père était Sikh Indien d’origine et il avait un magasin de vélo pas loin du centre du village. Son magasin était plein de vélos Pinarello et Gios Torino.
J’ai toujours aimé être dans son magasin, car c’était comme être dans une cathédrale dans laquelle de beaux vélos légendaires remplaçaient les icônes des saints. Gios Torino et Bianchi sont parmi les marques mythiques selon moi ! C’est drôle comme certaines couleurs sont associées à certaines marques iconiques : Ferrari avec le rouge, Marlboro et Coca Cola avec le rouge et blanc, Bianchi avec le vert céleste et Gios Torino avec le bleu.
Le père d’Alexi, Jasjit, était lui-même une personnalité ! Grand, basané, des yeux clairs, brillants et une voix mélodieuse. Pour la plupart des gens, Jasjit était quelqu’un de très doux et calme. Mais avec Alexi, il était très exigeant et sévère. C’était comme si, quoi que fasse Alexi, ce n’était pas assez bon pour son père. Quelquefois j’étais au magasin quand Alexi rentrait de son entrainement. Jasjit lui disait « Tu fais quoi ici déjà ? Tu as fait seulement cinq heures et demie ? » Généralement s’en suivait une dispute. Je pense qu’Alexi sentait qu’il avait toujours quelque chose à prouver ! D’abord à son père et après au Monde du vélo en lui-même !
Alexi était appelé le «John McEnroe, l’enfant terrible du cyclisme».
En dehors du vélo, Alexi était un type très calme, très posé ; sur le vélo, dans les courses, c’était un volcan ! Versatile et colérique, il n’hésitait pas à hurler contre un autre coureur ou même un commissaire de course. Alexi était appelé le « John McEnroe, l’enfant terrible du cyclisme ». Il a toujours été vu par le monde du vélo comme un outsider, un cas. En 1986, alors qu’il roulait pour l’équipe américaine pionnière, 7Eleven, lors d’une étape de montagne du Tour de France, Alexi se trouva en difficulté et un caméraman qui filmait sa souffrance un peu trop longtemps à son goût, fut victime de sa colère. Mais le gars ne s’arrêtant pas pour autant, Alexi finit par cracher sur la caméra. Le problème c’est qu’ils étaient en direct sur une chaine nationale pour une émission sportive aux États-Unis, et comme 7Eleven était un sponsor américain, ça c’est super mal passé et Alexi fut viré de l’équipe !
Alexi a toujours fait le buzz. Il y a une course de côte pas loin de Denver, Colorado, qui s’appelle « The Mount Evans Hill Climb » (également appelée « The Bob Cook Memorial Hill Climb »). « Hill » mon œil ! « Hill » veut dire colline, en français !
La colline en question fait 44 kilomètres de long, elle débute à 2 298 mètres d’altitude et finit à 4 306 mètres. Une sacrée colline non ? Cette course se déroule sur la plus haute route goudronnée des USA. J’ai fait cette course une fois. À deux kilomètres de l’arrivée, j’étais dans un groupe de trois. Alors, au pire, je finirais quatrième (bon, c’était en Catégorie 3) ! À un kilomètre de l’arrivée, un groupe de quatre dépasse mon groupe, tous frais comme une rose. Mécanique doping déjà !!?? Bref je finis huitième, pratiquement en syncope à l’arrivée et je gagne un putain de pneu ! Et pas même un pneu en boyaux !!! En 1990, Alexi a pulvérisé le record de la montée en 1 h 46 min 29 s. La nouvelle s’est répandue plus vite qu’une traînée de poudre… plus vite que ce de la divorce de Brad Pitt et Angela Jolie ! Mais plus incroyable encore : il l’a fait avec un plateau de 39 !!!! À l’époque, les plateaux utilisés étaient les 42/53 ! Mais un 39 !!!! Il avait trouvé où ce 39 ? Incroyable !!! Je ne dis pas qu’Alexi fut le premier à utiliser un 39, mais chez nous, là-bas à Aspen, c’était inédit ! La légende continuait!
J’ai dit «bon, ils vont sûrement se redresser pour prendre le virage». Tu parles! Ils l’ont abordé, comme ça et en rigolant par-dessus le marché! J’en avais le souffle coupé!
Une fois, alors que je roulais avec Alexi et une autre légende du cyclisme américain, Dale Stetina (son fils, Peter Stetina, roule actuellement pour l’équipe pro Trek Segafredo), on a décidé d’escalader « Independance Pass », une montée de 31 kilomètres. On a commencé très tranquillement (même pour moi), et un peu plus tard je leur ai dit: « Allez-y, les mecs, je ferai demi-tour quand vous descendez.» Ils ont dit OK, et ont commencé à faire leurs intervalles.
Un peu plus tard, j’aperçois Alexi et Dale qui redescendent. Je fais vite demi-tour et attends leur passage. Bien plus tôt que je ne l’avais imaginé, les deux arrivent en position « Death Tuck » (les deux mains sur le haut de guidon, nombril sur la potence, nez à 2 centimètres du pneu et les genoux pressés contre le tube horizontal). Dale devant, Alexi derrière, avec la paume de sa main sur le bas du dos de Dale. OK, rien de trop spécial. Mais, juste après il y avait un virage assez fermé. J’ai dit « bon, ils vont sûrement se redresser pour prendre le virage ». Tu parles! Ils l’ont abordé, comme ça et en rigolant par-dessus le marché! J’en avais le souffle coupé!
Rien n’était jamais dans la norme avec Alexi. Il a eu un soigneur nommé Arnold qui habitait aussi à Aspen. Je ne sais pas exactement si c’était son prénom ou son nom de famille. Ce gars pourrait être un personnage de roman. De jour il était très discret, même secret. De taille moyenne, presque chauve et il portait des lunettes. Il ressemblait à un banquier suisse sauf que sa chemise à fleurs était ouverte sur ses poils thoraciques ! À l’époque, je fréquentais un bar/disco très sympa. Plus d’une fois, j’y ai vu le banquier suisse, avec la même chemise à fleurs, mais version soirée avec les chaines en or. Imaginez un Suisse, Mr. T! Et, plus étonnant encore: en soirée, il avait perdu sa calvitie! Son dôme, habituellement brillant, était alors couvert d’une perruque!
Alexi était sur le balcon de l’hôtel, un briquet en main en train d’allumer de gros pétards qu’il lançait en direction de la voiture. BOOM, BOOM, BOOM!
Peu importe, Arnold s’occupait bien d’Alexi. Il le massait, le calmait et s’assurait que son poulain était au départ des courses, à l’heure et prêt. C’était aussi lui qui supportait le tempérament d’un athlète aussi talentueux que capricieux. Un matin, alors qu’Arnold était en train de charger la voiture pour une course, Alexi était sur le balcon de l’hôtel, un briquet en main en train d’allumer de gros pétards qu’il lançait en direction de la voiture. BOOM, BOOM, BOOM ! Arnold, à plat ventre qui lui criait «Alexi, enfoiré !!». Et l’autre, sur le balcon, rigolait, dansait, comme un gamin. Arnold s’est occupé d’Alexi pour la course olympique à Los Angeles. Quelques jours avant la course, Arnold a fait la reconnaissance du parcours et défini une zone de ravitaillement différente de la zone officiellement autorisée. Pendant la course, quand il avait besoin de quelque chose, Alexi faisait signe peu avant leur point convenu et un bras mystérieux sortait de la foule avec un bidon ou une banane.
Le jour de la course olympique sur route, je pense que le village entier d’Aspen était devant sa télévision pour assister au spectacle. Au dernier tour, Alexi a attaqué et Steve Bauer, le Canadien a bouché le trou. Ils étaient deux à jouer le final. Même ma grand-mère aurait su que, sur le papier, Alexi n’avait aucune chance contre Bauer au sprint ! Sur l’ultime montée, le Canadien roulait pour assurer l’échappée. Derrière lui, Alexi commençait visiblement à piocher ! Toute de suite, j’ai pensé « il bluffe ! S’il coince, ça ne peut pas être sur la montée » ! Et il s’accrocha. Bauer, convaincu que c’était gagné, continua à rouler et à mener le sprint final ! Mais si Alexi était un grimpeur de classe, il était également malin et puissant ! Contre toute attente, il gagna le sprint et devint Champion olympique sur route!!!
C’était magnifique de voir Alexi acclamé ainsi par la population d’Aspen.
Quelques jours après la course, il y avait un article dans le journal local, «The Aspen Times». Quelqu’un a rapporté qu’en promenant son chien dans le quartier résidentiel à l’Ouest d’Aspen, il avait soudain entendu les hurlements de milliers de voix, unies, une exclamation d’émotion indescriptible! Cet homme et son chien en restèrent un peu perplexes. Une fois rentré, il appela la police, qui ne put lui donner une explication. En fait, ce bruit choquant, c’était celui des cris de joie de tout un village pour son outsider, pour son enfant terrible, au moment où Alexi défiait les pronostics de ma grand-mère et du monde entier et franchissait la ligne d’arriveé devant Bauer! Sacré Alexi !!!
Après la victoire de Los Angeles, Aspen organisa une parade en l’honneur de son héros. J’ai eu la chance de suivre l’arrivée du cortège du toit du bâtiment juste en face de l’endroit où se déroulait la cérémonie finale. C’était magnifique de voir Alexi acclamé ainsi par la population d’Aspen, sa «home town»! De loin, nos regards se sont croisés et avec son sourire timide, il me fit un clin d’œil! J’étais très ému, car j’eus l’impression que, devant son village, devant le monde du vélo tout entier et, probablement, même devant son père… Alexi a prouvé qu’il était assez bon!
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