J’ai habité à Aspen au Colorado pendant quelques années. Aspen est connu pour le ski évidemment, mais d’après moi, la plus belle saison là-bas, c’est l’été.
Quand on pense à l’été à Aspen, on pense au festival de musique, aux balades en montagne, au parapente et au vélo. En plus, les paysages sont magnifiques et la lumière d’été n’a pas de rivale! Comme Lance Armstrong l’a appris, Aspen est le site parfait pour l’entraînement.
Le village est situé à 7’900 pieds, ça fait approximativement 2’400 mètres au-dessus du niveau de la mer! Il y a des super sorties d’entraînement à y faire. En sortant du village, vers l’est, il y a l’Independence Pass, 31 kilomètres de montée jusqu’à 3’687 mètres! Les petites montées du coin sont très sympas, notamment Marroon Bells, Ashcroft et Snowmass. Pour l’entraînement, le fait de dormir à 2’400 mètres n’est pas négligeable non plus!
Alexi Grewal, est connu comme le «bad boy», le John Mc Enroe du cyclisme.
Lance a certainement fait la promotion d’Aspen. Il y a acheté une maison et y a effectué beaucoup de ses camps d’entraînement de ce fait. C’était là aussi, dans un restaurant local, que Lance et Tyler Hamilton ont eu leur fameuse confrontation concernant le dopage organisé par leur équipe de l’époque, l’US Postal. Bref, Lance est devenu une star d’Aspen, mais il n’y était pas le seul cycliste connu. Il y en a eu d’autres. L’un d’entre eux, natif de la région, est d’après moi, beaucoup plus célèbre que Lance. Le cycliste dont je parle, Alexi Grewal, est connu comme le «bad boy», le John Mc Enroe du cyclisme.
Un grimpeur de classe, très flamboyant, très expressif, et très fort sur le vélo. Eh oui, il a aussi été Champion olympique de vélo de route en 1984 à Los Angeles. Comme je connaissais Alexi personnellement, et comme il était tellement original et tellement fort, Lance se trouve derrière lui dans mon classement des «coolest» cyclistes du «ole mining town». Mais cette chronique n’est pas axée vers Alexi (qui est aussi le frère de Rishi, ce qui parle peut-être aux vététistes, ndlr) et je reviendrai sur lui dans un autre épisode…
«The Man» s’appelait Monte. Personne ne connaît son nom de famille. Pour tous, il était simplement Monte of Italy.
Venons-en au thème de cette chronique: je voudrais vous parler d’un confident, un «coach» et mentor d’Alexi. Il est aussi le type qui a organisé mon premier vélo de course, mon premier vrai maillot et mes premières chaussures de cycliste. Quelqu’un de très discret, mais qui était une vraie personnalité à Aspen dans le cercle du vélo. Son nom était inscrit sur son vieux Chevy Van, tout comme les lignes en couleur du drapeau Azzuro, et à une certaine époque (1978) son nom figurait également sur le maillot de quelques bons coureurs américains. «The Man» s’appelait Monte. Personne ne connaît son nom de famille. Pour tous, il était simplement Monte of Italy.
Une illutration tirée du livre de Greg Lemond « Yellow Jersey Racer ». A droite, Steve Wood (3e de ce championnat US juniors sur route 1978) et Ron Kiefel (5e) portent le maillot « Monte of Italy ». On reconnaît encore depuis la gauhe Greg Demgen (4e), Greg LeMond (2e) et Jeff Bradley (1er). Photo DR
Monte était un homme qui mesurait à peine 173 cm. Il ressemblait à un ancien «Beach Boy». Un «Beach Boy», car ses cheveux étaient blonds, un ancien «Beach Boy», car il avait pris un peu de bide avec les années! Il avait une drôle de manière de te parler. Ses deux pieds serrés l’un contre l’autre, son haut de corps légèrement penché en avant et son index pointé, sans agression, vers ta poitrine. Sa voix était toujours douce et quasi mélodieuse. Je ne l’ai jamais entendu hausser le ton. Ce fait en lui-même était incroyable, car Monte était marié avec une femme assez compliquée. Je m’en souviens comme si c’était hier: je suis entré dans le restaurant d’un ami et j’ai vu Monte et sa femme assis à une table.
Milan avait déserté, passé quelques mois dans une chambre au-dessus d’un bordel et dépensé tout l’argent qu’il avait gagné à la course.
Le propriétaire du restaurant était un ancien cycliste sur piste tchèque, qui s’appelait Milan. Quand je l’ai rencontré, il m’a expliqué que quand il était amateur, avec l’équipe tchèque ils allaient en Italie pour faire des courses. Après une de ces courses, il avait téléphoné à sa mère pour lui raconter ses exploits. Elle lui dit que les Russes étaient en train d’envahir le pays et qu’il n’avait pas intérêt à rentrer tout de suite. Alors je lui demande: «Punaise, t’as fait quoi!?» Il me répondit qu’au début, il avait pensé que comme sa mère avait toujours l’habitude d’exagérer, c’était des conneries. Mais, après avoir raccroché le téléphone, il avait entendu à la radio que c’était la vérité. Je lui demande encore: «Punaise, t’as fait quoi!?» Il me répondit qu’il avait déserté, passé quelques mois dans une chambre au-dessus d’un bordel et dépensé tout l’argent qu’il avait gagné à la course! Comment il avait atterri à Aspen, Dieu seul le sait!
Mais je reviens à mon histoire. Donc, j’entre dans le resto de Milan et je vois Monte avec sa femme (n’oubliez pas: elle est compliquée) en train de manger. Bon, manger, façon de parler. Elle était complètement ivre et en train de lui jurer dessus comme une poissonnière. Insulte après insulte, Monte le gentleman continuait calmement de manger, comme si elle n’était pas là. J’observais la scène en jetant un coup d’œil à Milan qui me fit un geste pour dire «comme d’habitude». Je passai à leur table pour dire bonsoir et la femme de Monte arrêta alors sa tirade juste en remarquant ma présence. Monte se leva, pieds joints, son haut de corps légèrement penché en avant, son droit index pointé vers moi et dît très doucement: «Salut my boy, est-ce que tu connais mon ADORABLE femme, Dorothy?» Typique Monte, quelle classe!
Monte m’a pris de côte et m’a expliqué: «My boy, ça va pas le faire comme ça! On va te trouver un vrai vélo, un vrai vélo de course!»
Monte a vu ma première course de vélo, à Aspen bien sûr, c’était une petite course locale (comme d’habitude). J’ai roulé avec un vélo Japonais, plutôt conçu pour le cyclotourisme avec des trucs pour monter des paniers et tout le binz. Je ne me souviens pas des détails de ma course, mais je pense que j’ai fait «brutta figura». Monte m’a pris de côte et m’a expliqué: «My boy, ça va pas le faire comme ça! On va te trouver un vrai vélo, un vrai vélo de course! Je sais exactement ce dont t’as besoin, un très beau Guerciotti de couleur champagne. Ne t’inquiète pas pour le prix, my boy, on va passer par mon copain Paolo Guerciotti à Milan, en Italie. Je le connais bien et depuis longtemps! Par la même occasion, je te trouve des vraies chaussures de vélo et un ou deux maillots. Ne t’inquiète pas, my boy, Monte va s’occuper de toi!» Bon, je suis un type naïf. Je croyais en Monte, mais quand même, Monte, copain avec Guerciotti? Quelques semaines plus tard, mon vélo, mon vrai beau vélo de course Guerciotti couleur champagne arrivait. Et avec une paire de chaussures de vélo en cuir, et 2 maillots en laine! Monte of Italy, un vrai Mec! Mais ce n’est pas fini!
Paolo était beau comme son frère, charmeur et plus que d’accord de prendre les mesures de ma copine lui-même…
Deux ou trois années plus tard, je faisais un voyage avec une copine en Italie, on décida pour le coup, de rendre visite à l’ami de Monte, Paolo Guerciotti et son frère, Italo, une autre bonne connaissance de Monte. Mon amie était intéressée par un vélo de couleur champagne. Honnêtement, j’étais sceptique. Je voulais vraiment croire que mon copain Monte était un copain des fameux Guerciotti. Mais…
On arrive au magasin qui se trouve dans une petite ruelle de Milan. Franchement, rien de très spécial. On entre et on trouve un mec, cigarette en bouche, avec une tronche à la Hollywood! Je dis: «Hello, on cherche Mr. Guerciotti, Paolo Guerciotti». La movie star nous regarde et dit: «Je suis son frère, Italo, (déjà bon signe!) Paolo n’est jamais ici». Très déçu de ne pas avoir vu Paolo, je lance: «Dommage, nous sommes Américains, et venons d’Aspen pour voir Paolo. C’est mon copain Monte qui nous envoie». Quand je dis ça, Italo sursaute: «Monte! Vous êtes des amis de Monte!? Le grande, grande Monte!? Attendez, ne bougez pas, je téléphone à Paolo! Il va être content d’avoir de ses nouvelles!» Sacré Monte! Italo nous donne les directions du bureau de Paolo et nous sommes partis pour le voir. Paolo était ravi de parler de Monte et de ses exploits quand à l’époque, Monte, Paolo et Italo étaient ensemble sur le circuit cyclocross. Paolo était beau comme son frère, charmeur et plus que d’accord de prendre les mesures de ma copine, lui-même, pour son futur vrai vélo de course de couleur champagne. Sacré Paolo!
Un copain m’a dit récemment qu’il ne l’a pas vu depuis un bon moment non plus. On doute même qu’il soit toujours vivant.
Monte of Italy! Quel type! Quand les gens pensent à Aspen et à ses stars, ils pensent à Jack Nicholson, Hunter S. Thompson… Mais la vraie star à Aspen, pour moi, c’était Monte. Ça fait des années et des années que je ne l’ai plus vu. Un copain m’a dit récemment qu’il ne l’a pas vu depuis un bon moment non plus. On doute même qu’il soit toujours vivant. Mon copain pense que Monte est passé dans «a better world». Je lui ai dit que si Monte est dans «a better world», au moins, son ADORABLE femme n’est peut-être pas avec lui! Monte, my boy, peu importe où tu es, sei grande!!!
4.5