Le Valaisan Lionel Poggio, auteur d’un tour du monde à vélo en 2006-2007 (lire l’article « Du tour du monde au Tortour ») s’est découvert une passion pour les courses de longue distance. Pour le Tortour, avec départ et arrivée à Schaffhouse après une boucle de 1000 km et 13 000 de dénivelé à parcourir d’une traite. Une course qu’il a terminée 5e en 2014 et 2015, cette dernière édition lui permettant aussi de prendre la 2e place du Championnat de Suisse « d’ultracycling ». Entretien.
Comment t’es-tu lancé la première fois sur le Tortour ?
En rentrant de mon tour du monde, j’ai continué en faisant quelques courses, comme le Grand Raid. Mais si je suis assez bon en montée, je suis trop prudent en descente. Et ces départs en masse, cela ne me va pas trop… C’est pourquoi le Tortour m’a intéressé, même si la première fois que j’en ai entendu parler je me suis dit que c’était pour des fous. Un ami m’a dit que c’était un truc pour moi et en y repensant, je me suis dit que ce serait intéressant d’essayer. Je m’y suis donc lancé en 2014… Avec l’expérience du tour du monde, je savais que j’avais une certaine endurance, l’inconnue étant de savoir ce qui allait se passer au-delà de la barre des vingt heures d’effort.
Et il s’est passé quoi après ces fameuses vingt heures ?
(Rires) Il s’est passé que la deuxième journée s’est très bien déroulée… Nous étions partis à 2 h du matin le vendredi. Le parcours passait à Martigny et le samedi, vers 3h du matin, je me suis arrêté chez mon oncle. J’ai dormi une demi-heure, mangé un plat de pâtes et c’était reparti. Lors de la deuxième journée, j’ai fait le meilleur temps sur deux ou trois étapes et perdu très peu de temps sur le premier, au contraire de tous les autres. Cela m’a encouragé à le refaire en 2015. Surtout que j’avais fini en bonne forme, car j’avais entendu quelques histoires d’horreurs, comme le gars qui ne pouvait plus marcher pendant deux semaines, ou d’autres qui ne pouvaient plus s’asseoir…
Rebelote en 2015, avec des ambitions…
Je suis surtout reparti en 2015, avec l’envie, entre autres, de passer la Furka par beau temps. En 2014, il avait neigé et faisait froid. Et en 2015… ça n’a pas été mieux…
Qu’est-ce qui est le plus difficile sur une telle épreuve ? 1000 km d’une traite…
Le tour du monde, avec parfois des étapes de 300 km, en Russie surtout, avec des journées des dix à douze heures sur le vélo, m’a permis de me rendre compte que je pourrais relever le défi du Tortour. Le challenge est surtout de trouver un rythme dans lequel tu es bien et que tu avances ni trop vite, ni trop lentement, et que tu peux tenir pendant des heures, en pouvant aussi te régénérer. Après, tu apprends à dépasser tes limites. J’ai beaucoup aimé rouler de nuit. Tu es tranquille, il n’y a pas de trafic, tu vois pas mal d’animaux, des blaireaux, des renards, des chevreuils… Et si la température est agréable, c’est parfait. Il y a souvent moins de vent aussi.
Tu roules au « feeling » ou avec une combinaison de capteurs ?
Non, je roule sans cardiofréquencemètre, ni capteur de puissance, et même sans compteur. J’ai tout jeté après le tour du monde. Au bout d’un moment, tu sais quand tu es à fond et je pars en général juste avec mon téléphone dans la poche. Sur le Tortour, j’ai l’avantage de bien connaître les routes, car je les ai toutes reconnues et je n’ai pas de stress en arrivant dans les carrefours, pas de crainte de m’égarer. Et avec l’âge, tu connais aussi beaucoup mieux tes limites. Tu sais surtout qu’elles sont beaucoup plus loin que ce que tu penses… Parfois tu as un coup de mou, mais tu ne t’arrêtes pas, tu sais que ça va passer, comme les crampes. Il faut savoir s’écouter, bien sûr, mais aussi savoir se dire que ce n’est pas si grave et qu’on continue.
Tu es en autonomie ou est-ce que vous avez le droit à une assistance ?
Tu as toujours une voiture qui te suit, avec trois personnes à bord, pour éviter qu’une même personne ne conduise pendant 40 heures, même si en vélo ça va… (rires). Tu as le droit de t’arrêter ou tu veux, de changer de vélo et de te ravitailler où bon te semble. Il y a une série de points de passage obligatoires et tu disposes aussi d’un GPS et d’une balise, qui permettent aux organisateurs de s’assurer que tu suis bien le parcours. Tes amis et supporters peuvent aussi suivre ton évolution en direct sur internet, c’est assez sympa et intéressant pour le public.
Quels sont tes choix de matériel ?
Pour le Tortour, j’utilise trois vélos : un vélo vraiment typé « course » pour la montagne, un vélo de triathlon et un vélo de route avec un petit guidon de triathlon. Je change de vélo selon le parcours et l’envie du moment. J’ai parfois fait certaines montées avec le vélo de triathlon, car je me sentais bien dessus et je n’avais pas envie de changer. C’est bien de pouvoir changer de position et ne pas faire les 1000 km avec le même vélo. Au bout d’un moment, ça tire forcément un peu dans les épaules, ou ailleurs. Et avec l’assistance pas de souci de pneus, tout est dans la voiture et on peut monter du matériel assez léger. Sinon, même le vélo de triathlon est monté avec des roues de route assez standard. C’est toujours un compromis, car les montées sont tout de même fréquentes, et il peut y avoir du vent. Et j’utilise un pédalier compact, 50 x 34.
Qu’est-ce que tu manges sur un tel effort ?
C’est bien de diversifier la nourriture et je crois que je n’ai pas mangé un seul gel la dernière fois, même si j’en ai toujours un dans la poche, en cas de coup dur. J’aime bien les smoothies de Powerbar, des compotes de pommes, un sandwich parfois, de la tresse avec du beurre de cacahuètes… Il ne fait pas hésiter à manger des trucs qui te font envie aussi. Si tu ne manges que des gels, cela ne va pas le faire. La première année, en ayant mangé des pâtes, cela avait bien été aussi, même si la première heure après le repas est un peu plus difficile. Tu dois digérer un peu, et ça repart.
Et l’entraînement ?
Il est surtout composé de longues sorties, sur 200-250 km, où j’essaie de trouver ce fameux rythme idéal. Je varie aussi avec des entraînements plus courts, d’une heure ou deux, à fond. J’ai la chance de ne pas travailler à 100 %, sinon ça ne serait pas possible. Ou alors sans voir ma famille et en roulant de nuit… Je fais environ 10-12 000 km par année. Je vais essayer d’en faire un peu plus cette année. L’an dernier j’en avais 8000 avant la course, ce qui n’est pas extrême comme volume.
Quels seraient tes conseils pour une première participation ?
Il y a déjà la possibilité de commencer par le « challenge » de 500 km, soit la moitié du parcours complet. Sinon c’est surtout de s’entraîner, s’entraîner encore, sur des longues distances. Et partir d’abord pour finir. L’an dernier, sur 30 partants, seuls onze ont fini… Il faut bien se préparer pour la pluie aussi. En 2015 il a plu sur le tiers du parcours. Et si tu n’as pas assez d’habits de rechange, au bout d’un moment, ça ne passe plus. J’avais cinq paires de chaussures et j’ai mis quatre paires deux fois, pendant que les autres séchaient dans la voiture. Il ne faut pas non plus attendre d’avoir trop froid avant de se changer.
Et la suite, tu as d’autres idées en tête, à part le Tortour 2016 ?
La Transcontinental pourrait être un truc intéressant. On me dit aussi de tenter la Race across America, la RAAM. Ce n’est pas exclu, mais tout de même improbable dans mon cas. Tortour, c’est en Suisse, et tu trouves deux ou trois copains qui sacrifient un jour de vacances pour te soutenir. Mais la RAAM, c’est douze jours de course, plus le voyage… C’est encore une autre dimension, surtout du point de vue logistique.
- Infos et images sur le site internet de Lionel Poggio : www.lionelpoggio.ch