Le 24 novembre, le peuple suisse votera sur l’«étape d’aménagement 2023» qui prévoit d’étendre le réseau autoroutier à six endroits. Près de Genève, les quatre voies doivent passer à six. Trois nouveaux tunnels sont prévus à Bâle, Schaffhouse et Saint-Gall. Au nord de Berne, l’A1 devrait passer de six à huit voies sur un tronçon et de quatre à six voies sur un autre.
Mardi soir, comme de nombreux soirs, je rentrais du boulot à vélo, profitant des bandes cyclables pour remonter les colonnes d’automobiles plus ou moins immobiles.
Ça, c’est la théorie. Quand tout va bien et dans l’hypothèse où lesdites bandes cyclables sont respectées par les conducteurs et conductrices d’automobiles.
Pour mémoire, les automobilistes ont le droit de circuler sur les bandes cyclables délimitées par un marquage discontinu. À condition de ne pas gêner les personnes à vélo. Si les automobilistes m’empêchent de passer, ils me gênent. C’est assez simple et basique, mais ils·elles sont nombreux à s’en moquer.
Et lorsque l’on ose le faire remarquer en tapotant légèrement la carrosserie, on découvre que certaines voitures ont une commande du klaxon installé sur l’aile arrière droite. En effet, car lorsque tu oses tapoter la carrosserie de celui qui te barre carrément le passage, ça klaxonne! L’autre soir, le conducteur a aussi menacé l’intégrité de ma dentition si je touchais encore sa voiture. Pourtant j’étais heureux pour lui que ses oreilles fonctionnent mieux que ses yeux ou son cerveau.
« Pour faire de la voiture, allez sur l’autoroute. Et restez-y! »
Plus loin, sur les berges du Rhône, interdites à la circulation automobile, trois voitures, dont les conducteurs sont là «juste pour promener le chien». Les berges du Rhône sont pourtant l’endroit que tous ceux que notre présence dérange nous conseillent pour dégager de « leur route » (qu’ils pensent être les seuls à payer, ça fait partie du problème, mais c’est une autre histoire).
Alors je réponds pareil: pour faire de la voiture, allez sur l’autoroute, ça ira très bien. Vous en voulez encore plus? OK, mais restez-y.
Oui, je sais, ce n’est pas possible, car, comme à vélo sur les berges du Rhône, il faut en sortir pour aller quelque part. Et c’est bien là que le projet d’agrandir les autoroutes rejoint mes préoccupations de personne à vélo. Comme davantage de place sur l’autoroute signifie davantage de voitures (c’est prouvé, démontré, constaté et encore prouvé), il faut m’expliquer comment ces automobiles ne se retrouveront pas sur les routes secondaires avant ou après, même si les partisans de davantage de goudron nous expliquent qu’il y aura moins de trafic sur les routes secondaires et que ce sera donc mieux, aussi pour les personnes à vélo.
Cela me pose deux problèmes, le premier étant que cela n’est pas vrai. Davantage de voitures sur les autoroutes, c’est davantage de voitures partout.
Les autoroutes détournent le trafic automobile des routes locales, argumente le conseiller fédéral Albert Rösti, responsable du dossier des transports. Il en résulterait un contournement des villes. L’extension de l’autoroute délesterait ainsi les villes et les villages du trafic de transit et réduirait les embouteillages. Le trafic cycliste en profiterait également. Pour PRO VELO, cette logique est bien trop réductrice, car les nouvelles routes ne permettent qu’un désengorgement temporaire: toute capacité nouvellement créée génère immédiatement une incitation à utiliser davantage la voiture, tout simplement parce que les gens espèrent pouvoir parcourir cette distance plus rapidement. «Ce mécanisme est scientifiquement prouvé», a déclaré Eva Heinen, professeur à l’EPF de Zurich pour la planification des transports et de la mobilité, au «Tages-Anzeiger» en mai 2024.
À long terme, elle entraînera une augmentation du trafic et des embouteillages. «Avec cette hausse de circulation sur les autoroutes, c’est tout le flux automobile qui s’intensifie, y compris dans les villages et les villes.»
350 experts en mobilité
Le deuxième problème, c’est que, même si c’était vrai (qu’il y aurait moins de voitures sur les routes secondaires), ce ne sont pas des routes avec moins de voitures qu’on veut, ce sont des routes SANS voitures. Des pistes cyclables, donc, qui coûtent 150 fois moins cher à construire que des autoroutes.
Mais pour ça, il n’y a pas d’argent. Paraît-il.
La Commission des transports du Conseil national refuse de donner des moyens supplémentaires aux cantons pour les voies cyclables. La population, le Parlement et le Conseil fédéral veulent un réseau de pistes cyclables dans toute la Suisse. La Commission des transports et des télécommunications (CTT) du Conseil national refuse toutefois de consacrer davantage de fonds fédéraux à cet effet. «Nous craignons que les réseaux de pistes cyclables ne puissent pas être réalisés d’ici fin 2042, comme le prévoit la Loi sur les voies cyclables, s’inquiète Delphine Klopfenstein Broggini
Avec une bonne dose de mauvaise foi.
«Pour Olivier Fantino, de routesuisse, ce scrutin parle aux gens, car il touche directement à leur vie de tous les jours. «D’un côté, ils entendent le discours dogmatique des opposants qui ne proposent aucune alternative.»
Dans 24 heures – Les autoroutes sont devenues la mère de toutes les batailles
Aucune alternative, vraiment? Pendant ce temps, les mêmes…
«Le crédit de 3,5 milliards de francs demandé par le Conseil fédéral pour le trafic voyageurs régional pour la période 2026-2028 suscite le scepticisme. Trop cher pour l’UDC et le PLR.»
Dans Le Nouvelliste – Transports publics: la droite met en garde contre une subvention du trafic régional
Tout cela sans même régler le problème sur les autoroutes, puisque même l’Office fédéral des routes, qui veut investir ces milliards pour les autoroutes, doit admettre que cela ne fera que reporter le problème.
«Selon cette étude terminée en 2022, l’élargissement de l’A1 aurait pour conséquence une augmentation de 14% du trafic, une année seulement après la fin des travaux. Suivant les projections des auteurs, exposées par le journal genevois, l’autoroute nouvelle génération serait à nouveau saturée dix ans après sa mise à jour.»
Même les partisans du projet doivent l’admettre.
«On ne peut pas garantir qu’il n’y aura plus jamais de bouchons», note encore Laurence Cretegny.
Cela tombe sous le sens.
Quand vous agrandissez un domaine skiable, ajoutez des pistes, c’est pour attirer davantage de skieurs ou donner plus de place à ceux qui sont là? Quand vous ajoutez des lits d’hôtel, c’est pour héberger davantage de clients ou laisser davantage de choix aux existants? Quand vous agrandissez la salle à manger d’un restaurant, c’est pour recevoir davantage de convives ou laisser plus d’espace entre les tables?
Les extensions autoroutières, si elles fluidifient dans un premier temps le trafic, attireront finalement davantage de voitures, provoquant au final encore plus de bouchons. «Les routes qui y conduisent seront elles-mêmes encore plus engorgées et les effets d’entonnoir plus marqués aux entrées et sorties des tronçons élargis», explicite encore David Raedler.
Bref, davantage de routes, c’est davantage de voitures, de bruit, de pollution, de danger, de blessés. C’est connu, prouvé et éprouvé, partout dans le monde. Le problème étant que la bagnole, contrairement à ce que prétend Albert Rösti, ne paie de loin pas ce qu’elle coûte et que, surtout, tout le monde en fait les frais, même ceux qui n’en ont pas.
En chiffres absolus, c’est toutefois le trafic routier motorisé qui pèse le plus lourd dans la balance. Ses coûts externes (morts, blessés, bruit, pollution, perte de valeur des terrains, NDLR.) augmentent de 60%, passant de 10,8 milliards de francs à 17,3 milliards.
Des chiffres que le conseiller fédéral bétonneur Rösti n’a pas trop envie de diffuser. À quelques jours de la votation du 24 novembre, le rapport de l’Office fédéral du développement territorial n’est même disponible qu’en allemand signale actif-trafic.
Tout cela aussi pour un problème qui n’est celui que l’on croit. Les autoroutes ne sont pas principalement utilisées par ceux qui en ont vraiment besoin. C’est notre bougeotte qui est en cause.
«La pseudo-controverse tourne principalement autour de la “fluidité” du trafic que permettrait la levée des bouchons. Rappelons que ceux-ci ne découlent pas de la démographie, mais d’une hypermobilité liée que très marginalement à de réelles nécessités.»
«L’étude du cabinet spécialisé 6T sortie en mars montre que les pendulaires ne constituent qu’un cinquième du trafic entre Lausanne et Genève, contre 40% dévolu aux loisirs et un quart aux achats. La porte est ainsi grand ouverte à la saturation permanente du réseau, là où d’autres solutions (covoiturage obligatoire, bandes cyclables, ligne CFF supplémentaire pour le travail, report modal, temporel ou géographique pour le reste) tombent sous le sens. En outre, le trafic motorisé reste l’apanage des hauts revenus (43% pour le quartile supérieur, contre 11% seulement pour la tranche inférieure), la route renforçant les inégalités sociales.»
Grégoire Gonin, historien, dans Le Temps.
On veut donc engager des milliards pour ne pas régler un problème et en aggraver d’autres. Et cela coûtera encore plus cher que ce que l’on nous annonce. «L’extension des autoroutes coûte officiellement 4,9 milliards de francs. Ce chiffre date de 2020, il n’inclut ni le renchérissement ni la TVA. En réalité, les coûts seront nettement plus élevés. De plus, au total, des projets autoroutiers d’un montant de plus de 34 milliards de francs sont dans le pipeline», relève la Wochenzeitung.
Davantage d’argent pour le vélo et les transports publics
Pour PRO VELO, «les énormes montants que coûte l’extension des autoroutes devraient plutôt être investis dans des structures de transport efficaces en termes de surface et durables pour les vélos et les transports publics. La Confédération consacre tout juste 1% de son budget mobilité au trafic cycliste. C’est très peu quand on sait que la population suisse n’effectue que 8% de tous ses déplacements à vélo et que la Confédération souhaite doubler cette part d’ici 2035. Il faudrait investir davantage dans le vélo, et ce également dans le contexte de la nouvelle loi sur les pistes cyclables: depuis 2023, les cantons sont légalement tenus de réaliser un réseau dense et attrayant de pistes cyclables d’ici 2042. Il est donc important que le projet autoroutier soit rejeté le 24 novembre 2024, y compris sous l’angle de la promotion du vélo.»
Pourtant, l’actualité récente nous a montré que l’argent ne fait pas défaut, contrairement à ce que l’on veut nous faire croire lorsqu’il s’agit d’aménager des pistes cyclables et autres infrastructures destinées aux personnes ayant choisi de se déplacer à vélo.
Ainsi, en Valais le tunnel de Riedberg, dont la construction a débuté en 2005, va coûter plus de 220 millions de francs pour une double galerie de 550 mètres environ, soit 400’000 francs le mètre. Il faut même lui ajouter 25 millions pour un tunnel de drainage urgent.
Soit 245 millions de francs. Ce qui est assez d’argent pour construire 545 kilomètres de pistes cyclables goudronnées de 3 mètres de large selon les chiffres de la Confédération (document PDF, 1,2 Mo). Largement de quoi sécuriser et améliorer le quotidien de pas mal de personnes à vélo sur l’ensemble du canton du Valais. Et pour les autres aussi.
À la fin du mois d’octobre, dans Le Nouvelliste, Nicolas Babey, professeur à la Haute Ecole de gestion Arc évoquait des pistes pour réduire les coûts de la santé.
Bon nombre de maladies coûteuses pourraient être évitables en adoptant un régime alimentaire sain, en bougeant davantage et en levant le pied sur la consommation d’alcool ou de tabac.
Nicolas Babey, professeur à la Haute Ecole de gestion Arc
Ça n’est pas seulement par notre comportement personnel que nous irons mieux, mais par la transformation globale d’un environnement sur lequel nous n’avons individuellement aucune prise.
Là, avec cette votation, c’est justement sur cette transformation de l’environnement que nous avons prise.
Pour les autoroutes, il est temps de la tirer.
Les arguments contre l’extension du réseau autoroutier en bref
Source: www.extension-autoroutes-non.ch
- Les projets dans le détail
Plus d’autoroutes, c’est plus de trafic
L’élargissement des autoroutes ne désengorge le trafic qu’à court terme. Les voies supplémentaires attirent immédiatement plus de voitures et de nouveaux bouchons apparaissent. Les problèmes de circulation ne sont pas résolus, mais aggravés. S’enclenche alors un cercle vicieux dans lequel il est perpétuellement nécessaire d’étendre les autoroutes, à coups de milliards et d’espace pris sur d’autres utilisations.
Plus d’autoroutes, c’est plus de chantiers
Ces projets extrêmes occasionneront des chantiers qui dureront des années, entraînant des ralentissements, des perturbations et des reports de trafic sur d’autres axes. Les travaux entre Genève et Nyon sont prévus au minimum de 2033 à 2041, soit pendant 8 ans.
Plus d’autoroutes, c’est moins de nature et de paysage.
Les projets de construction détruiront plus de 400’000 m2 de forêts, d’espaces verts et de terres agricoles précieuses. Ils sont incompatibles avec les objectifs climatiques de la Suisse. De plus, l’extension des autoroutes va accroître le mitage et le bétonnage du paysage suisse.
Plus d’autoroutes, c’est plus de bruit et de pollution de l’air.
Les gaz d’échappement représentent une source bien connue de polluants nocifs pour la santé. Le trafic pose cependant aussi un réel problème en termes de bruit, qui entraîne des coûts considérables. Une situation aggravée par les récents assouplissements — décidés au Parlement — vis-à-vis des impératifs de protection contre le bruit dans les nouvelles constructions. D’autant plus de personnes subiront ainsi des nuisances sonores.
Plus d’autoroutes, c’est plus de trafic dans les zones habitées
Aucun trajet en voiture ne commence ou ne se termine sur l’autoroute. Le surplus de trafic engendré pèse donc également sur les quartiers, les villages et les villes. C’est la qualité de vie de toute la population qui en souffre.