Quand le Fonds de sécurité routière joue avec nos vies

Soyons clairs: la dernière campagne Le jeu de ta vie (non, je ne mettrai pas le lien vers cette m.) du Fonds de sécurité routière est honteuse. Sous prétexte d’attirer l’attention sur «la surestimation de soi et l’illusion de contrôle dans la circulation» par une série de vidéos, elle ne fait que rejeter la faute des accidents sur les victimes, conforter les motorisés dans leur sentiment de supériorité et d’impunité et augmenter l’agressivité des usagers de la route. Du «victim blaming» dans toute sa splendeur.

Un ratage de grande ampleur, à 5,8 millions de francs prélevés sur les primes RC des automobilistes (ceci explique peut-être cela), montant qui aurait par exemple pu servir à construire plus de 10 km de piste cyclable bidirectionnelle et en site propre quelque part en Suisse plutôt que de dire aux gens à vélo de se débrouiller au milieu de SUV toujours plus gros et dangereux. Et si vous trouvez que 10 km ce n’est pas beaucoup, dites-vous bien que le même montant suffirait pour 40 mètres d’autoroute.

5,8 millions de francs. Et on en a jusqu’en 2027 de cette daube.
Quand on croat gérer l’orthographe aussi?

À la sortie de Sion, la campagne s’affiche sur un tronçon de route cantonale dépourvu de bande cyclable. Vraiment un bon endroit pour dire aux cyclistes: «démerdez-vous et faites surtout attention à ceux qui arrivent derrière vous à 80 km/h». Avec une affiche «j’arrive toujours à me faufiler», juste après l’endroit où un homme a été tué par une automobiliste, voilà pile deux ans, alors qu’il circulait normalement sur la bande cyclable. C’est à gerber.

La campagne s’affiche notamment peu après l’endroit où un cycliste s’est fait renverser et tuer et qui fait flipper tout les cyclistes qui passent par là. Et rien n’a changé. Où est la piste cyclable? Où est la bande cyclable?
Des voitures qui déboulent à gauche et à droite entre 60 et 80 km/h. Votre argent pourrait servir à améliorer ce genre d’endroit plutôt que de dire aux cyclistes de faire attention et que cela ne suffira peut-être pas.

J’ai regardé les vidéos. Voici les messages:

  • «Nous devons nous rappeler qu’il est dangereux de se sentir trop en sécurité.»
  • «La circulation ne vous demande pas votre avis.»
  • «Que dire des personnes distraites, de celles qui sont pressées, et qui ne vous voient pas?»
  • «Silvia conduit depuis 40 ans sans avoir eu d’accident – mais la sécurité n’est jamais garantie. Elle s’était dit que ce n’était qu’un court trajet et c’est pour ça que c’est arrivé.» Dans la vidéo, la brave dame se fait carrément rentrer dedans!
  • «Dans la circulation routière, nous nous sentons généralement en sécurité – et c’est précisément là que réside le danger.» Alors non, il y a des endroits où je flippe vraiment (sur le pont entre Fully et Saxon, entre Martigny et Sembrancher) et je ne crois pas que ce soit sans danger.
  • «Le problème, la plupart des accidents à vélo n’ont pas lieu sur les longs trajets, mais sur les trajets courts qu’on connaît bien.»
  • «Attendez-vous au pire et roulez en conséquence.»

Un message catastrophique

Traduction courte de tout ce chenit: la route, c’est dangereux et on n’y peut rien. Alors évitez le vélo pour les trajets courts et les routes que vous connaissez bien. Après, advienne que pourra, démerdez-vous avec votre sécurité et s’il vous arrive quelque chose, c’est que vous n’avez quand même pas fait assez attention.

Bien sûr que certains font n’importe quoi, peu importe le moyen de transport. Mais c’est justement parce que tout le monde fait des erreurs que les aménagements doivent éviter qu’elles (surtout celles des usagers aux véhicules lourds et rapides) n’aient des conséquences trop douloureuses ou fatales.

Le seul truc qui est vrai dans cette histoire, c’est que les routes deviennent une jungle (mais pas à cause des usagers les plus vulnérables) et c’est pour cela qu’il faut des aménagements piétons et cyclables dignes de ce nom. Pas des campagnes de «prévention» qui disent «oulalà, faites gaffe hein, mais peut-être bien qu’on va vous rentrer dedans quand même».

Quelque 12500 véhicules passent ici tous les jours. Fin de la bande cyclable. Pas de piste cyclable. Débrouillez-vous avec des « personnes distraites, pressées, et qui ne vous voient pas ».

Quel parent va laisser ses enfants aller à l’école à vélo (des courts trajets…) avec un message pareil?

Si l’on voulait décourager les gens de se déplacer davantage à vélo on ne s’y prendrait pas autrement. Alors que, pour plein de bonnes raisons, il faudrait encourager les gens à utiliser ce mode de transport.

PRO VELO Valais l’écrit également sur son site internet:

En stigmatisant les cyclistes, ceux-ci même que vous cherchez à sensibiliser, vous les agacez et n’atteignez donc pas votre cible.

En faisant du victim blaming, vous propagez l’idée que les cyclistes ne méritent pas leur place sur la route, ni d’être respectés, que ce soit par les collectivités publiques ou par les autres usagers de la route.

Finalement, vous découragez les personnes à se mettre au vélo, en présentant cette activité comme fatalement dangereuse. Pourtant, une étude récente qui a suivi plus de 80’000 personnes sur 18 ans montre que durant cette période, la pratique régulière de vélo diminue de 46% le risque de mortalité, par rapport à une population sédentaire. Et ce même en tenant compte du risque d’accident (lien).

Je pensais qu’avec la campagne «Le cycliste» de la SUVA avec la police vaudoise (entre autres), on avait atteint le sommet du «victim blaming». Bravo à cet autre organisme officiel (je crois que c’est cela le pire: on n’est pas dans une discussion de bistrot ou sur Facebook, mais bien chez une institution de droit public investie d’un mandat légal du Conseil fédéral) pour avoir pulvérisé ce plafond. Il y a déjà assez d’abrutis qui pensent que les personnes à vélo n’ont rien à faire sur « leurs » routes, sans qu’on ne les aide avec des messages « officiels ».

Et bien sûr, on ne s’en prend qu’aux personnes à vélo. Sur les quatre profils de la campagne, n’aurions-nous pas pu avoir un·e cycliste, un·e motocycliste, un·e automobiliste et un·e chauffeur de bus ou de poids lourd? À l’époque, la SUVA avait promis un équivalent du « cycliste » pour les automobilistes. On attend toujours.

Dommage que tout cet argent serve à jouer avec la vie des personnes à vélo. Ce n’est pas sérieux. Juste honteux.

3 réflexions au sujet de “Quand le Fonds de sécurité routière joue avec nos vies”

  1. Le jour de la publication de cet article, ce sont les polices romandes qui s’inquiètent, entre autres, de l’augmentation de l’agressivité sur nos routes.

    L’expert souligne aussi l’importance du respect mutuel entre usagers de la route: « Nous avons besoin que chacun prenne ses responsabilités ». Selon lui, chacun peut commettre des erreurs, même involontaires, et c’est pourquoi il plaide pour davantage de fair-play. « Accepter qu’un autre ait pu commettre une erreur, plutôt que de s’énerver ou de réagir de manière agressive, nous permettra, peut-être, de faire baisser cette courbe des accidents », sensibilise-t-il.

    Dommage que le Fonds de prévention routière fasse passer les cyclistes pour responsables de tous leur maux.

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  2. Bonjour Joachim tu as 100 % raison et je partage entièrement ton étude et ton article. Après 10’000 km de vélo pour aller au travail, je mentionne qu’il suffit d’un seul conducteur de voiture (1,5 tonne de matériel à quatre roues) pour mourir. Qu’Il ait raison ou tort, cela n’a aucune importance puisque je serai de toute manière mort.
    On m’insulte et on me jette des détritus dessus alors que je roule en ligne droite sur une piste cyclable… alors faire une promotion anticycliste est une honte.
    Comment empêcher le partage d’une telle bêtise ?

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