C’est l’histoire d’un bouquin consacré aux plaques de cadres, ces emblèmes au service de l’image des marques de vélo, aujourd’hui quelque peu tombés en désuétude (les emblèmes, pas les marques, qui elles ont parfois totalement disparu).

Pour l’un des auteurs, Nicolas Koulberg, cet ouvrage (bilingue français/anglais), après un premier livre consacré aux cadenas, « prolonge et approfondit notre interrogation sur la relation de l’humain et de l’objet sous la forme d’une représentation écrite et imagée des multiples atouts et bienfaits de la bicyclette. En dehors de sa fonction utilitaire et de la cyclo mobilité douce reconnue unanimement, le vélo parle au-delà de lui-même; il offre une multiplicité de signes et de facettes, libère des formes nouvelles d’énergie, révèle des valeurs de fraternité, de solidarité et d’éthique globale, propres aux auteurs collectifs de cette édition. » Tout un programme, détaillé par Nicolas Koulberg, à lire ou à écouter ci-dessous.

Nicolas, tu te présentes brièvement?
Je suis un imposteur, plus si jeune, qui arrive sur la cinquantaine. Sérigraphe de métier depuis une trentaine d’années et militant pour une vie meilleure et une société un peu différente. Et le vélo nous y amène (rires).
Tu as déjà coécrit un bouquin sur les cadenas. Là maintenant, on parle des signes, ces plaquettes de cadre qu’on avait sur tous les vélos à l’époque, ce qui tend à disparaître. D’où vient l’idée de ce bouquin?
C’est la nostalgie d’un temps passé, même s’il faut avoir le regard tourné vers le futur. Mais c’est une réflexion de manière générale sur l’objet en série. Une discussion avec ces petites plaquettes qui nous dévoilent les valeurs premières du vélo. La liberté qu’il nous procure, les aventures, les chemins inconnus, se rencontrer soi-même, faire des efforts, récolter le fruit de ses efforts… Des choses qui deviennent de moins en moins évidentes dans une société où c’est plutôt un hymne à la paresse, où il faut être le plus tôt possible à la retraite, où il faut faire le plus de fric le plus rapidement possible. Donc voilà, c’est une espèce de vieux con qui essaie de remettre au goût du jour des valeurs qui ont tendance à s’effacer dans une société de plus en plus mercantile et superficielle… (rires).
On est assez loin aussi du vélo de compétition où il faut aller toujours plus vite?
Oui, c’est ça. Je pense qu’on a deux approches du vélo. Une approche sportive qui, logiquement, se réfère à la performance, aux compétitions, à une recherche d’aller toujours plus loin, de repousser les limites. Des limites qui pour moi ont été franchies depuis bien longtemps. Donc c’est rappeler que le vélo c’est avant tout une liberté, une reconnexion avec soi-même, une reconnexion avec son environnement, de retourner sur des fondamentaux et d’être sur quelque chose d’humain. En voiture on croise les collègues, mais on ne peut pas s’arrêter. En vélo on s’arrête quand on veut. On rencontre de nouvelles personnes, on vit de nouvelles sensations. Une fois de plus on se découvre. Le vélo donne différentes possibilités. C’est plus une vision du vélo populaire, de la mobilité douce, qui va dans le sens de respecter plus notre environnement, notre personne, les gens autour de nous, etc. C’est à la fois nostalgique et précurseur. Si vraiment on veut que les choses changent, peut-être qu’il faut avoir un regard sur le passé pour comprendre d’où on vient et emprunter des chemins plus justes. J’ai l’impression qu’on se perd.

On parle de nostalgie et toutes ces plaquettes sont très vintage, mais, en même temps à feuilleter ce bouquin c’est incroyable. Il y a des plaquettes avec les noms de marques, de clubs, de noms d’endroits, il y a le Niesen, le Grütli. On a l’impression qu’il y a plein d’histoires qui se racontent ou qui se sont racontées derrière ces insignes de vélo…
Effectivement, se retourner sur des objets qui aujourd’hui n’existent plus vraiment parce qu’il faut rentabiliser. Quand j’étais petit, je voulais faire archéologue… Là, ce n’est pas des dinosaures, mais, quelque part, ces plaquettes sont remises au goût du jour et nous permettent d’avoir une relecture et de finalement tenter de trouver le juste équilibre entre l’homme et la machine. L’idée c’est de dire que l’hypertechnologisation de nos quotidiens, avec tous ces écrans, avec toute cette électrisation des différentes choses qu’on utilise tous les jours, nous éloigne d’une certaine humanité et nous change. Alors est-ce que ce changement est positif? Le temps le dira. Je me pose des questions et c’est ça. C’est finalement un ouvrage qui permet d’alimenter une certaine réflexion, une certaine lecture du quotidien et de rétablir un équilibre personnel entre l’homme et la machine.


Si on parle du bouquin lui-même, en tant qu’objet, c’est un bel ouvrage bien mis en page, bien réalisé, qui peut parler à d’autres personnes pas forcément passionnées de vélo, non?
Alors on se rend compte, une fois de plus, dans une époque où on a tendance à aseptiser, qu’on avait une belle «biodiversité» et diversité de manière générale avec les différents artisans, chacun sa griffe, chacun sa sensibilité, etc. Aujourd’hui l’industrie a quand même standardisé, standardisation qui peut avoir des effets totalement positifs, mais qui rend un quotidien un peu fade pour ma personne. Donc effectivement des plaquettes comme ça peuvent être autant appréciées par des graphistes qui tout d’un coup, découvrent une multitude de typographies différentes. À une époque on prenait le temps justement de faire sa propre typo pour sa propre marque, etc. Avec différentes approches, des symboles du vélo, les étoiles filantes, les montagnes, les fauves, les étoiles, etc. Je dirais que cet ouvrage est ouvert autant à des gens qui sont passionnés de graphisme, d’illustration, de typographie, de vélo, de liberté parce que, finalement le vélo rime avec liberté, vous l’avez remarqué. Et voilà, c’est finalement prendre le vélo aussi comme sujet pour parler, pour dénoncer, pour sensibiliser, comme finalement n’importe quel sujet dépendant de la nature et de l’angle sous lequel on le regarde et de l’approche qu’on a avec ça. C’est comme les cadenas d’ailleurs.

Si je dis que c’est un beau bouquin sur de beaux objets, qui incite à prendre le temps de ralentir, de s’arrêter un petit peu et d’apprécier les belles choses, je me trompe?
Dans le texte, je crois sur un des poèmes, le collègue dit que, quand même, le vélo est une invention magnifique parce qu’elle nous permet d’avancer tout en restant assis. Mais je précise sans consommer de pétrole… Non, mais le vélo est une des plus belles inventions de l’homme. Il y a une espèce de tellement bel équilibre entre l’effort et ce que cet effort nous procure qu’il fallait, pour l’équipe qui a réalisé ce livre, rendre hommage à un vélo qui bientôt n’existera plus.
Quand on voit l’évolution des vélos électriques qui est juste fascinante, mais qui quand même supplante… Le rapport à l’effort n’est pas le même, la dépendance aux énergies n’est pas la même. Ce qui nous a séduits et ce qui nous intéresse aussi dans le vélo, c’est l’autonomie. L’autonomie, qui est un sujet très intéressant parce qu’on voit qu’on est de plus en plus dépendant de technologies, d’électricité, de ci, de ça.

En même temps, on dit du vélo que c’est le moyen de transport qui est le plus efficace, c’est même le plus efficace que le vol d’un oiseau… On dit aussi que circuler à vélo, c’est ce qui se rapproche le plus de la sensation de voler. Il y a quand même une idée de légèreté que nous sommes peut-être en train de perdre avec ces grosses machines électriques?
Oui alors, dans une société quand même ultramatérialiste et particulièrement en Suisse où on baigne dans une opulence généralisée, c’est clair que retrouver cette légèreté de l’oiseau et de l’envol fait un bien fou et nous permet une fois de plus de reconnecter avec notre personne profonde et avec notre environnement. Parce que ce n’est pas dans des petites boîtes métalliques seuls et coincés dans le trafic que l’épanouissement et la connexion vont avoir lieu. Bien au contraire. Il faut lire entre les lignes et accepter son quotidien, chose que j’ai un petit peu du mal à faire parce que j’ai l’impression qu’on est vraiment rentré dans le trop. Mais le temps le dira. Il faut vivre avec son temps, il faut accepter les nouveautés, etc. Mais voyons jusqu’où elles nous dépossèdent de nos capacités, de notre héritage, de notre humanisme et jusqu’où elle nous rend finalement…


Un ouvrage collaboratif
Cet ouvrage est le fruit d’une collaboration entre six personnes. Un historien, Bénédict Frommel, qui s’est chargé d’une courte genèse du vélo, en guise d’introduction qui permet de comprendre comment l’on est arrivé à son invention. Giuliano Broggini a développé les différents sujets et symboles forts que l’on retrouve dans l’univers du vélo, aux époques où on faisait des plaquettes. Nicolas Koulberg et « mon super papa, retraité qui a pu prendre le temps d’écrire quelques poèmes en hommage à la petite reine et à la mobilité douce », a coordonné le tout avec le photographe Stéphane Gros et le graphiste David Mamie.
Editions TH3, Genève