Je l’avais déjà fait en 2021, mais cette fois, l’idée n’est pas venue de moi. «Et si on descendait plutôt en Espagne à vélo», m’a lancé Caroline alors que nous évoquions les différentes possibilités, dont une traversée des Pyrénées, pour un petit voyage estival à vélo. C’est que de recevoir des voyageurs à vélo grâce à Warmshowers depuis bientôt une année nous a aussi donné des idées…
Il n’a donc pas fallu me convaincre et nous avons élargi l’invitation au seul de nos quatre enfants disponible en ce début juillet 2025. Isak n’a pas été long à convaincre non plus, son esprit aventurier l’emportant sur l’absence de pratique cycliste régulière. Cap donc sur l’appartement d’Empuriabrava.
- Dimanche 6 juillet – Genève – Chambéry – 111 km
- Lundi 7 juillet – Chambéry – La Mure – 105 km
- Mardi 8 juillet – La Mure – Barret-sur-Méouge – 113 km
- Mercredi 9 juillet – Barret-sur-Méouge – Gordes – 105 km
- Jeudi 10 juillet – Gordes – Palavas-les-Flots – 152 km
- Vendredi 11 juillet – Palavas-les-Flots – Leucate – 146 km
- Samedi 12 juillet – Leucate – Empuriabrava – 114 km
- Les étapes sur Komoot et Wanderer
Dimanche 6 juillet – Genève – Chambéry
111 km, 1435 m D+, 1540 m D-

À l’heure de quitter le Valais, le 6 juillet, la météo s’annonce plutôt maussade dans les Alpes. Nous optons pour un itinéraire de repli, afin d’éviter de rouler en montagne les premiers jours, et prenons le train jusqu’à Genève. C’est dimanche et la sortie de la ville se fait très facilement sur un itinéraire cyclable.

Une pluie fine accompagne nos premiers tours de roue, mais rien qui ne puisse doucher notre enthousiasme à rouler sur des aménagements en site propre sur de nombreux kilomètres. Je pensais que cela n’existait qu’en Suisse alémanique dans notre pays, mais Genève nous a agréablement surpris.


Nous franchissons la frontière sans vraiment nous en apercevoir et longeons le Rhône un bref instant vers le défilé de l’Écluse, avec une vue saisissante sur le viaduc de Longeray. Le passage à Seyssel me rappelle la descente du Rhône entre Gletsch et la mer, en reportage pour Le Nouvelliste en 2003… Notre trajet se poursuit sur des routes à faible trafic ou des itinéraires cyclables, à l’exception de la route longeant le lac du Bourget. Celle-ci est certes spectaculaire, mais la piste cyclable est une blague, sale et étroite, ce qui rend ce tronçon plutôt désagréable en raison de la circulation automobile.

Les aménagements cyclables de l’arrivée à Chambéry jusqu’à notre logement sont toutefois remarquables et c’est une journée qui se termine aussi bien qu’elle a commencé.




Lundi 7 juillet – Chambéry – La Mure
105 km, 1337 m D+, 750 m D
Une étape qui débute remarquablement bien. Il est aussi facile de quitter Chambéry à vélo que d’y circuler et nous poursuivons sur un itinéraire balisé jusqu’à Grenoble, souvent en site propre, et c’est parfait.


La météo est légèrement fraîche, mais idéale pour rouler et nous restons au sec. Les paysages sont encore bien semblables à notre vallée du Rhône, un peu moins escarpés, mais nous longeons quelques belles falaises du parc naturel de Chartreuse où les amateurs de parapente se donnent à cœur joie.




Grenoble est réputée pour être une ville cyclable et c’est vrai. Encore une fois, il est très simple de naviguer entre pistes, bandes et rues cyclables, ce qui nous change, malheureusement, de notre quotidien valaisan qui doit paraître bien indigent aux voyageurs à vélo qui tentent de traverser nos villes.


La suite sera nettement moins agréable. Nous essayons d’éviter les grands axes, mais peu après Grenoble, la route départementale se transforme en nationale franchement désagréable et nous la quittons dès que possible, au prix d’une très forte pente entre Champ-sur-Drac et Saint-Sauveur.
Nous retombons malheureusement sur la nationale (la route Napoléon, empruntée par de nombreux touristes qui plus est), toujours en montée. Un peu moins de cinq kilomètres sur une route souvent à trois voies, sans accotement dans ce cas, qui fait passer l’axe Martigny-Sembrancher pour une agréable route de montagne. C’est dire. Nous avons passé ces quelques kilomètres à agiter le bras gauche pour demander aux automobilistes de nous doubler à distance et c’était vraiment le gros point noir du voyage. Magie des aménagements routiers, cet axe à trois voies débouche dans un village, Laffrey, sur une rue étroite limitée à 30 km/h…
On peut que songer au quotidien des habitants du lieu, qui doivent bien souffrir de tout ce trafic sous leurs fenêtres. « C’est clair qu’ils n’en peuvent plus », me suis-je dit, et effectivement, « ils n’en peuvent plus du trafic, du bruit, de la pollution et du danger. Des habitants de Laffrey lancent une pétition et réclament des mesures.»
Pour notre part, tout est allé pour le mieux depuis ce moment. Les kilomètres restants défilent facilement jusqu’à la Mure. La météo n’est guère engageante, les possibilités de logement peu nombreuses à la ronde et nous décidons de nous arrêter à l’hôtel local pour la nuit.
Mardi 8 juillet – La Mure – Barret-sur-Méouge
113 km, 1670 m D+, 1900 m D-
Il ne fait pas très beau ce matin à La Mure et nous ne sommes pas trop pressés de partir… Le radar météo nous promet toutefois un temps sec et nous quittons l’hôtel après la dernière petite averse. Un départ en descente, très en descente, sur une petite route qui nous mène au bord du Drac avant la première ascension du jour vers le col de la Croix de Charvet, à 933 m d’altitude. Je m’aperçois alors que je suis parti avec la clé de la chambre d’hôtel… Je ne ferai pas demi-tour et elle rejoindra son propriétaire par La Poste.



Après une petite pause dans le charmant bourg de Mens, nous nous dirigeons vers le col de la Croix-Haute, à 1176 mètres, qui marque la frontière entre l’Isère et la Drôme. La route est une départementale, « mais elle ressemble à une nationale », nous a avertis un cycliste du coin.


Échaudés par l’épisode de la veille, nous faisons tout notre possible pour éviter la route principale en empruntant un petit chemin gravel qui, selon la carte, rejoint la D1075 peu avant le col. C’était correct, mais au prix d’un chemin gravel se transformant peu à peu en chemin herbeux, en sentier caillouteux et enfin en une trace GPS à travers la broussaille…


Cela n’a pas gêné Caroline, en panne de pile CR 2032 dans son levier de dérailleur arrière et bloquée sur le plus petit développement. Cela allait toutefois devenir gênant dans la longue descente de la vallée du Buëch avec un vent très favorable… Après avoir échangé la pile avec celle du levier de gauche (pour le dérailleur avant), le problème fut réglé jusqu’à l’achat de nouvelles piles à Laragne-Montéglin.





Pas séduits davantage que cela par cette localité et surtout impatients de voir la suite, nous décidons de poursuivre dans les gorges de la Méouge. Une route magnifique, presque sans circulation motorisée. Randonneurs, baigneurs et motards sont restés chez eux en cette journée venteuse, nous expliquera plus tard l’hôtelier à Barret-sur-Méouge. Tant mieux pour nous, qui profitons tranquillement de ce défilé spectaculaire jusqu’à Barret où nous posons nos affaires pour la nuit.



Mercredi 9 juillet – Barret-sur-Méouge – Gordes
105 km, 1971 m D+, 2196 m D-
Certainement l’étape la plus spectaculaire du voyage. Les gorges de la Méouge sont derrière nous, mais nous nous réjouissons déjà de celles de la Nesque . Après une vingtaine de kilomètres en légère montée, nous attaquons le joli petit col de Macuègne (1100 m).

Au loin, nous apercevons le majestueux mont Ventoux, mais personne n’est motivé par ce détour… Nous poursuivons la montée, le col de Macuègne n’étant en l’espèce qu’un petit tremplin vers le col de l’Homme mort (1231 m), moins effrayant que son patronyme peut laisser croire.


Une longue descente fait glisser sans peine vers la Provence et nous nous arrêtons casser la croûte à Sault où il y a foule en ce jour de marché.


Après Monieux, une brève montée nous dépose au sommet des gorges de la Nesque, spectaculaires à tous points de vue. La route se faufile en descente dans ce canyon naturel, les autos sont rares et nous ne boudons pas notre plaisir d’avaler si facilement autant de kilomètres dans un si beau paysage.


L’été est bien présent. Pas un nuage à l’horizon et il commence à faire chaud. Personne ne s’en plaint en sortant de la fraîcheur des montages des derniers jours, mais «il fait soif», comme on dit chez nous. Après une petite pause dans un kiosque au bord de la route à Malemort-du-Comtat, nous bifurquons vers Venasque, pour rejoindre Gordes. Ça grimpe sec, mais la route de Gordes s’avère très belle elle aussi.




Après une brève descente, nous nous mêlons à la foule de visiteurs de l’Abbaye de Sénanque, trop heureux d’être à vélo et pas en auto…

Un planton nous ayant assurés que c’était OK, nous poursuivons vers Gordes à contresens des autos qui descendent vers l’abbaye. Il y a effectivement de la place et si un sens unique a été instauré c’est bien en raison de l’encombrement des autos. Pourquoi les cyclistes devraient-ils en pâtir? De toute manière, à ce moment, personne d’entre nous n’a l’envie de faire un détour d’une dizaine de kilomètres. Cela suffira avec les 2 km en montée pour rejoindre le camping depuis le centre du village… Alors camping, avec piscine, pour boucler cette bien belle journée.

Jeudi 10 juillet – Gordes – Palavas-les-Flots
152 km, 57 m D+, 456 m D-
Le plus gros kilométrage du voyage, car Isak, qui rentre en train mardi déjà, veut tenter de «gratter» une journée pour bénéficier d’un jour de plus à la plage en Espagne. Après les dénivelés des derniers jours, avec cette étape descendante, puis plate, cela semble jouable. Nous visons le Grau-du-Roi, où nous aviserons selon les forces restantes.
Avec la chaleur, sous le cagnard de Camargue, c’est peut-être l’étape que j’appréhende le plus. Aussi parce qu’il faut traverser Cavaillon et peut-être la Grande-Motte, qui ne m’ont pas laissé un souvenir impérissable lors de mon passage dans la région en 2021. C’est aussi, en dehors des montagnes, la journée avec un itinéraire souvent balisé sur des départementales pas toujours rassurantes.
Tout se passe toutefois très bien. Même à Cavaillon, l’Eurovélo évite le centre et rend le parcours facile, comme les aménagements cyclables du fameux giratoire menant au pont sur la Durance.




À Beaucaire, nous rejoignons la via Rhôna, le long du canal du Rhône à Sète. Isak se sent des ailes et se lance dans un sprint effréné, avant de se plaindre que son vélo «fait du bruit»… Après vérification, le dérailleur semble cassé et il poursuit en monovitesse sur une soixantaine de kilomètres jusqu’à Aigues-Mortes, où nous décidons de consulter un spécialiste, qui nous répond qu’il ne voit pas trop ce qu’il peut faire, surtout qu’il n’a pas l’habitude de cette « marque inconnue » (SRAM)…




Après une visite de la ville, nous avalons les cinq kilomètres qui nous séparent du Grau-du-Roi, où nous poursuivons jusque sur la jetée. À l’écart de la foule, au calme, je décide d’examiner plus sérieusement le problème en enlevant la roue arrière. Riche idée, puisqu’il s’avère que la patte de dérailleur s’est dévissée et empêche tout changement de vitesse. Un cou de clé plus tard, nous voilà repartis à la recherche d’un camping.



La traversée de la Grande-Motte sur les voies cyclables est toujours aussi mal balisée et désagréable. Nous avons l’impression que les autorités veulent juste nous évacuer de la route et de la zone de plage en même temps. Nous cheminons tant bien que mal (plutôt mal) à l’arrière des immeubles et n’avançons pas très vite.
Peu avant Palavas-le-Flots un premier camping refuse les tentes (il faudra voir pour changer de nom). Le deuxième, le camping Les Roquilles, affiche qu’elles sont les bienvenues. Et pour trois fois moins cher qu’à Gordes. Vendu!
Vendredi 11 juillet – Palavas-les-Flots – Leucate
146 km, 425 m D+, 397 m D-
Une autre longue étape, qui, dans un autre genre, dispute le titre de la journée la plus spectaculaire avec celles des Gorges de la Nesque. Point de canyons spectaculaire ici, mais une journée «à ras la flotte».


Au départ de Palavs-les-Flots, l’itinéraire officiel de l’Eurovélo propose de contourner les étangs par le Nord-Ouest. Nous avons toutefois repéré un chemin de digue, toujours le long du canal du Rhône à Sète, qui les traverse en direction de Frontignan. Des gendarmes nous disent que nous pouvons passer par là à vélo. Au début du chemin, pourtant, trône un panneau d’interdiction aux vélos. Le préposé à la passerelle mobile nous explique que le canal et ses berges, entre l’étang de Vic et celui de Pierre Blanche, appartiennent aux Voies navigables de France et que la signalisation leur sert surtout à se couvrir en cas d’accident. Mais que nous pouvons y aller.
Nous nous empressons donc de nous lancer sur ces huit kilomètres «gravel», magiques, parmi les plus dépaysants qu’il nous ait été donné de parcourir, nous habitants des montagnes. De plus, le vent est favorable, le ciel bleu. Que demander de plus? Et, pour la petite histoire, à l’autre bout de la digue, la signalisation en sens inverse interdit le passage aux autos, motos et cyclomoteurs. Mais pas aux vélos. Allez comprendre…


Après la pause «boulangerie» à Sète, qui semble bien séduisante et où nous reviendrons certainement, nous poursuivons le long du littoral, vers Agde, Saint-Pierre-la-Mer et Narbonne-Plage.




Après Gruissan, une autre digue nous attend, mais celle-là, je la connais déjà pour l’avoir empruntée en 2021. Elle n’en reste pas moins spectaculaire, avec la voie ferrée toute proche, entre les étangs de Bages et de l’Ayrolle. Ça ressemble à la mer, mais ce n’est pas la mer…




Nous traversons Port-la-Nouvelle avant de retomber sur un secteur gravel bien «gravel», parfois technique avec du gravier fuyant, le long de la voie de chemin de fer. Certes moins fréquenté que la départementale de l’autre côté de l’étang, mais mieux vaut éviter ce passage en vélo de route. Avant Leucate, nous roulons encore sur une petite couche de sel, craquante comme une pellicule de glace en hiver. Insolite et sympa.


Samedi 12 juillet – Leucate – Empuriabrava
114 km, 913 m D+, 939 m D-
Nous avons logé dans un dortoir chez l’habitant, Caroline s’est levée tôt, car le marché s’est installé sur le pas de porte… Tout le monde lui prédit des orages violents en ce samedi. On verra bien, de toute manière, il faut avancer, non? Surtout que le ciel n’est pas encore trop menaçant.
Nous partons sur la voie cyclable, très bien tracée, à travers une petite pinède et jetons un œil gourmand aux établissements du Grau de Leucate qui proposent huîtres et autres produits de la mer. Mais il est encore un peu tôt pour l’apéro…


Les premières gouttes de pluie nous atteignent à Canet-en-Roussillon, avant que le déluge ne s’abatte sur nous. Mais il fait chaud, je roule en sandales, Isak se met torse nu et rien ne nous atteint. Je m’amuse même à rouler dans les flaques pour asperger mes pieds et mollets d’eau chaude. Cela se calme avant Argelès-sur-Mer, pour rependre à quelques reprises avant Collioure, où nous faisons une pause.






À peine repartis, un coup de tonnerre nous cloue sur place et nous nous remettons à l’abri quelques instants. Après Port-Vendres, nous quittons la départementale pour une petite route au calme dans le vignoble, qui nous dépose au départ de la route du col de Banyuls, que nous connaissons bien. Cela ne va pas être de la tarte avec les passages à 17% du dernier kilomètre, mais l’Espagne et l’appartement d’Empuriabrava sont tout proches.



Il ne pleut pas, mais arrivés au col. Une alarme se déclenche sur nos trois téléphones: «Alerte de protection civile. Forts orages entre maintenant et ce soir à 21h. Restez chez vous et évitez les déplacements en extérieur.» Peu rassurant, on va dire et nous ne traînons pas, décidant d’adapter l’itinéraire en le rallongeant un peu, mais en bénéficiant du vent favorable qui nous éloigne des nuages noirs en approche au lointain.

Une bonne idée qui nous permet de rouler au sec et même de faire une pause à la coopérative agricole de Gariguella, l’un de nos «pit stops» préférés dans la région.

Ne restent qu’une quinzaine de kilomètres jusqu’à la mer que nous découvrons non sans émotion, après toutes celles partagées durant cette semaine à vélo. Le ciel est chargé et nos cœurs légers.
