Prisonnier de la route cantonale

Début septembre 2023, Le Nouvelliste a consacré un article à l’achèvement de la “route du canal” à Fully, après 30 ans de travaux de réfection pour ce tronçon de 5,4 km. Le tout pour un montant de quelque 21 millions de francs.

Un sacré délai pour un sacré montant. Mais, manifestement insuffisant, en temps ou en argent, pour intégrer les personnes à vélo sur cet axe.

Certes, on le savait bien avant cette inauguration officielle, la question de l’absence d’aménagement cyclable ayant été posée au parlement cantonal en 2019 déjà. Réponse: « Le Département précise que le canton prend en compte les vélos et que ce n’est pas parce que tel n’est pas le cas dans le présent projet, qu’il ne va pas le faire pour les projets futurs. Le Département a hérité de ce dossier, avec ses problèmes et ses incohérences, et «doit faire avec», tout en étant conscient du fait qu’il est insatisfaisant sur ce point.

Traduction: on sait que c’est nul, mais on va le faire quand même. Et pour la mobilité quotidienne, le chef du Service de la mobilité a expliqué que “l’axe le long du Rhône remplit ce rôle et du point de vue du canton c’est l’unique axe qui concerne ses attributions.”

Les berges du Rhône sont donc un axe à géométrie variable: axe de “mobilité quotidienne” bien pratique pour refuser de créer un aménagement ailleurs, mais axe de “mobilité de loisirs” lorsqu’il s’agit de refuser d’y enlever la neige en hiver

“il est exact de constater que plusieurs tronçons de l’axe cyclable cantonal, sur les berges du Rhône, ne sont pas déneigés, puisqu’ayant un usage de loisirs. A ce titre, il n’est pas prévu de le faire.”

Conseil d’État du Valais – Mars 2022 – Réponse à l’interpellation « La mobilité douce doit fonctionner aussi en hiver »

Bordure rabaissée pour les autos, mais pas les vélos.

Mais je m’égare et reviens à cette nouvelle route “digne de ce nom” comme elle a été qualifiée dans Le Nouvelliste. Une route que j’ai parcourue à vélo le vendredi 8 septembre, dans le sens Fully-Martigny, pour un rendez-vous peu avant Branson. Arrivé à la hauteur de l’arrêt de bus Le Carroz, j’ai voulu quitter la route principale et emprunter le pont pour traverser le canal. Qu’elle ne fut pas ma surprise en découvrant que c’était impossible, sauf à m’arrêter sur la route cantonale et monter sur un trottoir!

Vous voulez poursuivre tout droit à vélo? Gare au choc…

En face, il y a un trottoir sur toute la longueur de la nouvelle route, avec des parties abaissées à chaque desserte privée, transformant ledit trottoir en montagnes russes.

… qui risque d’être violent.

Mais, de l’autre côté de la route, lorsqu’il s’agit de desservir une autre route et pas une propriété privée, on aménage un trottoir en pleine hauteur. Impossible de bifurquer depuis la route cantonale, sauf à s’arrêter sur la chaussée et soulever sa bécane. Impossible aussi de poursuivre tout droit depuis le chemin des Seilles. Des champions!

Le passage piéton n’est pas en reste et je doute que la bordure haute de plusieurs centimètres soit au normes pour les chaises roulantes, mais là j’avoue que je n’y connais pas grand chose.

Dans l’autre sens, c’est jouable, mais attention à la marche et à la chute sur la route tout de même.

Pour les personnes à vélo, ou qui voudraient l’être, il est déjà difficilement compréhensible en 2023 de livrer un aménagement qui longe de nombreuses habitations sans rien prévoir à leur attention. Mais y rajouter des obstacles dépasse l’entendement.

Et tout cela après 21 millions de francs de dépensés et 30 ans de travaux.


4 réflexions au sujet de “Prisonnier de la route cantonale”

  1. Malgré les nouvelles lois qui se mettent gentiment en place, j’ai l’impression qu’il faudra encore beaucoup de temps à nos politiques et services techniques avant qu’ils ne comprennent et acceptent l’idée que la mobilité active est au moins aussi légitime que la mobilité motorisée. En 2023, on n’arrive pas encore à comprendre que s’il y a si peu de cyclistes en Valais, c’est parce qu’aucun réseau cyclable sûr et efficace n’existe dans notre région.

    Et cette mentalité d’un autre siècle se concrétise malheureusement dans de tels ouvrages, triste. (j’ai très peur pour la route cantonale entre Granges et St-Léonard, en plein travaux).

    (et espérons que le SDM ait changé de position depuis 2019, et qu’il ne se contente pas de développer courageusement un unique axe pour la mobilité active quotidienne!)

    • Oui, c’est dommage, pour ne pas dire déplorable. Surtout que le Canton du Valais, par son Département de la mobilité, du territoire et de l’environnement et le Service de la mobilité, affirme dans le Concept cantonal de la mobilité 2040, publié en avril 2018: “Dans le même temps et en synergie, un effort conséquent est entrepris pour rendre la mobilité douce attractive pour les déplacements quotidiens. Le réseau routier est ainsi adapté et des itinéraires en site propre sont aménagés.”

      Et depuis la publication de ce concept (5 ans tout de même) on cherche toujours les réalisations sur les routes cantonales qui répondent à cet objectif. Peut-être le trottoir autorisé aux vélos entre Saillon et Saxon. Et encore, on n’a pas osé laisser le même régime de priorité aux cyclistes qu’aux motorisés qui circulent en parallèle.

  2. Merci pour le partage de ce document, je ne le connaissais pas!… On peut y lire quelque chose de très sensé à propos de la mobilité douce, qui « décharge (ainsi) le réseau routier et contribue à la santé de la population ».

    Mais je me méfie de ces concepts de mobilité, je ne sais pas si ces documents ont une quelconque valeur légale ou contraignante (Steeve?). Autre exemple, Sierre s’est doté en 2014 d’un concept de mobilité cycliste. Ce document, bien que cité par la ville dans plusieurs publications officielles, n’est étrangement pas consultable publiquement. Mais même sans le connaître, on peut franchement remettre en question son efficacité quand on voit le mauvais état du réseau cyclable sierrois, presque 10 ans après…

    On peut faire tous les concepts que l’on veut, mais si ce sont justes quelques phrases pour se donner bonne conscience et que les décideurs n’y croient pas, ça ne risque pas d’avance très vite…

    • C’est sûr qu’un concept, cela reste un concept… Sans objectifs fixés et mesurables, cela n’engage à rien. Cela n’avance déjà pas vite lorsqu’il y a des exigences légales (la LAT qui exige des chemins pour piétons et cyclistes depuis 1979, où l’entretien de la route des berges du Rhône), alors quand il n’y en a pas… C’est comme au Mikado, le premier qui bouge a perdu.

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