De Peter Gabriel au Saint-Bernard via l’Axenstrasse et la Furka…

Peter Gabriel n’est pas remonté sur son vélo jeudi soir au Hallenstadion de Zurich, mais le concert n’en fut pas moins magnifique.

Hommage appuyé à Steven Biko en fin de concert.

Ces propos liminaires peuvent sembler incongrus sur un blog dédié au vélo, mais je vous avais prévenus, tout ceci va devenir un peu plus personnel…

Le lien concret avec le vélo était pour le le lendemain, car j’avais décidé de rentrer à vélo, par le col de la Furka, avec peut-être un arrêt à Andermatt pour la nuit.

Lorsque j’ai fait part de mon projet à un collègue, un Suisse alémanique «bikepacker» incurable, il m’a signalé que l’itinéraire empruntait la célèbre et mal famée «Axenstrasse» le long du lac des Quatre-Cantons. Un bijou d’ingénierie dans la falaise, mais étroite et soumise à un important trafic. Trop important, même pour les autorités qui multiplient les mises en garde aux cyclistes (évidemment, on ne va pas demander aux automobilistes de faire attention ou limiter leur vitesse en direction du Gothard où ils seront les premiers dans le bouchon un peu plus tard).

Sur internet, les personnes à vélo confirment qu’il s’agit d’un axe destiné aux suicidaires et si vous envisagez de suivre l’itinéraire de Suisse Mobile (malgré les avertissements également répétés), le routage automatique de l’application vous fait prendre… le bateau. Environ une heure de navigation entre Brunnen et Flüelen, pour la modique somme de 22 francs suisses.

Le trajet en bateau est certainement très beau, mais dure 1h pour 11 km… C’est tout de même le comble d’être forcé à un détour payant par la faute d’automobilistes incapables de faire attention à ceux qui circulent devant eux. Le train (une dizaine de minutes) ou le bateau devraient au pire être offerts dès lors que vous vous présentez avec votre vélo. Et s’il faut financer la chose, puisons dans les revenus des taxes sur le carburant puisque les motorisés ne cessent de croire qu’ils paient toutes les routes du pays avec cela.

Mais si j’en crois cet article de la Luzerner Zeitung, l’Office fédéral des routes (pour les voitures ajouterais-je), l’OFROU donc, n’y voit pas de problème.

Mit der in Flüelen und Brunnen signalisierten Empfehlung, stattdessen die Bahn oder das Schiff zu benützen, sehe das Bundesamt seine Pflicht als erledigt an.

Avec la recommandation signalée à Flüelen et Brunnen d’utiliser plutôt le train ou le bateau, l’office fédéral considère que son devoir est accompli.

Luzerner Zeitung, 20.07.2022

Il le croit si fort que l’injonction est répétée à Göschenen, quelques kilomètres avant d’arriver à Andermatt.

« Cyclistes, route dangereuse, prenez le train. » C’est l’OFROU qui paie le billet?

Cela me ramène en Valais, où l’ouverture anticipée de certaines routes de cols pour les cyclistes avait été rejetée sous prétexte, notamment, d’une «différence de traitement» intolérable envers les usagers de véhicules à moteur. On parlait d’une semaine par année. Sur l’Axenstrasse, c’est toute l’année que les personnes à vélo doivent passer ailleurs. En payant. Tu parles d’une inégalité de traitement! Sans parler des gens qui rouspètent lorsque les routes sont ouvertes aux seuls cyclistes durant quelques heures pour Ride the Alps.

Une « inégalité de traitement » qui fait aussi renoncer certains cyclistes à l’axe du Grand-Saint-Bernard, entre Martigny et Sembrancher. Une route nationale à trois pistes, limitée à 80 km/h, mais où les excès de vitesse et les accidents sont fréquents. Ce n’est pourtant pas la place qui manque pour une solution toute simple: séparer physiquement chaque voie de circulation, ce qui empêcherait déjà certains automobilistes d’aller s’encastrer dans celui qui arrive en face, et en réserver une au trafic cycliste.

L’office fédéral des routes (OFROU), laisse d’ailleurs entendre que cela ne poserait aucun problème de ralentissement du trafic, ce qui est d’ailleurs assez logique, puisqu’il reste une voie dans chaque direction. Dans son communiqué au sujet de prochains travaux sur la route du Saint-Bernard (la N21), l’office fédéral indique en effet:

«Aux tronçons avec trois voies, une voie sera supprimée et le trafic peut rouler sans perte de temps.»

Office fédéral des routes (OFROU)

Si «le trafic peut rouler sans perte de temps» sur une voie plutôt que deux le temps d’un chantier, je ne vois pas trop le problème le reste du temps. Garder deux voies pour les motorisés, une pour une vraie piste cyclable, avec une glissière de sécurité, la solution est peut-être trop évidente. Ce tronçon n’en deviendra pas agréable pour autant, mais on y circulera au moins en sécurité.

Aujourd’hui ce n’est malheureusement le cas pour personne, la dangerosité du secteur des «trappistes» étant de notoriété publique pour le trafic automobile. Alors des personnes à vélo là au milieu… C’est tellement vrai que lorsque Valais Tourisme a invité des journalistes étrangers et spécialisés dans le vélo à découvrir la région de Verbier-Saint-Bernard, on n’a pas oublié de les mettre dans un minibus entre Martigny et Sembrancher.

C’est évidemment dommage, car le coin regorge de belles routes de cols avec les Planches, le Lein, le Tronc, La Croix de Cœur, la montée vers Champex, La Fouly ou le barrage de Mauvoisin. Il n’est pas donné à tout le monde d’entrer ou de sortir de l’Entremont par un col et l’obligation de passer par la route nationale est un frein immense à la découverte à vélo de cette région. J’ai échangé récemment avec un Nord-Américain qui voulait rejoindre l’Italie à vélo depuis la Suisse romande et cherchait des conseils sur le meilleur itinéraire pour le Saint-Bernard. Je n’ai évidement pas pu lui répondre sur «le meilleur» puisqu’il n’y en a même pas un de bien…

Encore une fois, au pire, le train devrait offert aux cyclistes entre Martigny et Sembrancher. Peut-être compliqué, mais nous avons vu plus haut qu’une solution simple existe. Et c’est l’OFROU qui la souffle.

Parce que comme le chante Peter Gabriel dans Mercy Street

«All of the cars
Were once just a dream
In somebody’s head»

Mais aujourd’hui, le rêve tourne trop souvent au cauchemar.


Zurich – Brig par la Furka