1500 kilomètres avec le nouvel Ultegra Di2

Ma première voiture était une Volvo 480, un modèle un peu atypique dans la gamme du constructeur suédois, coupé sportif aux lignes tendues. Si tendues que les phares étaient escamotables, surgissant du capot lorsqu’on les actionnait. Le problème, du moins avec mon véhicule, c’est que les phares allumés se rabattaient tout seuls de manière aléatoire et me laissaient dans le noir. Surprenant et assez gênant, même s’ils finissaient toujours par se relever. La cause? «Dur à savoir d’où ça vient exactement, c’est l’électronique», me disait mon garagiste. Depuis, je me méfie un peu des incursions de l’électronique là où la mécanique peut suffire, notamment sur les vélos.

La Volvo 480 avec ses phares rabattus.

Mais je ne suis pas obtus non plus et lorsque l’on m’a proposé de tester le nouveau groupe Shimano Ultegra Di2 (2×12 vitesses), je n’allais tout de même refuser de lui donner sa chance. Présenté en août 2021 il est donc arrivé quelques mois plus tard dans un magnifique coffret.

Le coffret avec une partie du groupe Ultegra 8100 Di2.

Ensuite, il s’est agi de trouver un cadre pour le monter et j’ai encore eu un peu de chance (une épouse gérante de magasin de vélo ça aide aussi) en pouvant acheter un kit-cadre du nouveau Specialized Crux. Un vélo de cyclocross, en théorie, mais tellement polyvalent que je n’ai pas hésité à en faire un vélo de route et de gravel, en attendant de l’engager dans les cyclo-cross de l’automne 2022.

En pratique

Plus rapide, plus fiable, mieux intégré et plus facilement personnalisable: dans son communiqué de presse, Shimano nous explique bien sûr que tout est mieux avec ce nouveau groupe. Je ne dispose pas de l’ancien pour comparer, mais après 1500 kilomètres à l’heure d’écrire ceci, je ne peux que noter que tout est très bien. Vraiment très bien, pour la faire courte.

Des dérailleurs rapides, souples et précis

Dans le détail, j’estime avoir été assez rude avec le matériel, en essayant de le soumettre à diverses contraintes sans trop faire attention. Un peu comme en course, lorsque l’on se soucie bien peu de savoir si la chaîne est croisée ou non et qu’il nous faut juste une vitesse en plus ou en moins. Là, maintenant, tout de suite.

Le Groupe Shimano Ultegra Di2 2022 encore tout neuf.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que cet Ultegra Di2 2022 (je dis 2022, car même s’il est sorti en 2021, rares sont ceux qui ont pu en disposer l’année dernière) ne bronche pas sous la contrainte. Changement de vitesses en force, dans la boue ou la poussière, aucun problème. Cela reste rapide (avec la possibilité de passer plusieurs vitesses à la fois, sans limite), souple et précis, tel que le constructeur japonais nous y a habitués avec ses groupes mécaniques.

Plus rapide que l’ancien Di2? Je n’en sais rien. Plus rapide qu’un Ultegra mécanique? Certainement. Mais surtout plus précis, l’électronique nous soulageant du souci de produire l’effort exact pour placer la chaîne sur le bon pignon. Une pichenette sur le levier et c’est fait, dans un sens comme dans l’autre. Un peu comme un changement de vitesses semi-automatique au volant, me suis-je surpris à penser sur un chemin de terre catalan. On ne se demande même plus si l’on veut changer de vitesse ou non, on change. C’est vrai aussi bien à l’arrière qu’à l’avant ou le changement de plateau est quasi instantané.

Autonomie remarquable

Tout ceci est bien pratique, mais électrique… Avec une question qui vient immédiatement à l’esprit: quelle autonomie pour tous ces changements de vitesses et une batterie de 53 grammes? «Les tests montrent que la batterie BT-DN300 peut tenir 1000 km entre deux charges», assure Shimano. «Les boutons de changement de vitesse sont alimentés par des piles CR1632 de type bouton qui durent environ 1 an et demi.» Je suis assez tenté d’y croire. À l’heure de publier cet article, le 1er avril, j’ai parcouru 988 kilomètres depuis la dernière charge, le 26 février 2022. Il y a deux jours « j’allumais encore du vert », comme diraient les skieurs qui passent l’arrivée en tête… Après le vert « fixe » lorsque la batterie est vraiment bien chargée, la diode passe au vert clignotant, puis vire à l’orange lorsqu’il faut vraiment songer à recharger cette petite batterie. La charge elle-même est très simple, avec un câble venant se fixer directement sur le dérailleur arrière.

Le port de charge (entouré) et le bouton de fonction (flèche) se situent l’arrière du dérailleur arrière.

Ne reste qu’à programmer une alerte dans votre calendrier pour les piles bouton, de charger de temps à autre votre «dérailleur» et le tour est joué. La capacité de la batterie BT-DN300 est de 500 mAH. C’est environ six fois moins que celle d’un iPhone 11 et il sera facile de la charger partout, même en voyage avec un petit «powerbank» USB. À condition bien sûr de ne pas oublier le câble. Moi, ça me rassure, même s’il n’est pas certain que je renonce à mon groupe mécanique pour les voyages au long cours.

Après plusieurs semaines d’utilisation, « j’allume » encore du vert. Bon signe.

Confort et efficacité

Après plus de 30 sorties sur route et en gravel, force est de constater que tout marche à merveille (allez, en pinaillant, sur la cassette 11-34 le passage d’un pignon à l’autre en milieu de cassette souffre parfois d’un petit «saut» à la montée. Vraiment rien de rédhibitoire, mais le reste est si précis et onctueux que certains changements un peu «secs peuvent surprendre). Les cocottes sont vraiment confortables et d’une taille parfaitement adaptée à mes mains. Là c’est bien sûr un peu de chance, mais ça me va. Ces cocottes ne sont pas très grandes. Mais elles sont fines, faciles à saisir et je n’ai jamais craint que mes mains ne s’échappent par le haut, même lorsque cela «tabassait» un peu sur les chemins caillouteux de Catalogne.

Les cocottes, que j’aime plutôt fines, et leviers sont bien dessinés et confortables.

Freinage: top

Si je pouvais émettre quelques craintes quant à la fiabilité de l’électronique, je ne me faisais aucun souci pour le freinage, habitué à la qualité «Shimano» sur mes VTT, même si elle a pu connaître quelques couacs au fil des ans. Mais là, rien à dire. L’approche des leviers est ajustable à vos préférences et à la taille de vos mains. L’attaque est franche, le freinage puissant (malgré un minuscule disque de 140mm à l’arrière) et parfaitement dosable. Aucun «fading» à signaler, malgré des descentes parfois raides et longues, comme celle de Chiboz à Fully pour ceux qui connaissent. C’est simple, j’aimerais bien les mêmes freins sur l’un de mes VTT équipés par la concurrence.

A l’arrière, le disque de 140mm fait le job, tandis qu’à l’avant, c’est un rotor de 160mm qui assure puissance et dosage.

« Synchronized shift », si je veux

Le concept de «changement automatique» des vitesses a été développé depuis quelques années par Shimano avec son «Synchronized shift» qui existe en deux versions: synchronized shift et semi-synchronized shift.

  • Dans le premier cas, le système s’occupe de tout avec changement coordonné de plateau et de pignon à l’arrière. Il est toutefois possible, avec l’application E-Tube de définir à quel moment le système change de plateau. Exemple: si je suis sur le grand plateau et que je « remonte » sur les plus grands pignons pour bénéficier d’un plus petit développement, le système va automatiquement passer sur le petit plateau à un point donné pour éviter de trop croiser la chaîne. À moi de décider si ce sera sur le 3e, 2e (je n’aime pas) ou 1er (vivement déconseillé) pignon. Pareil dans l’autre sens: si je suis sur le petit plateau et «descends» les pignons, le synchronized shift va passer sur le grand plateau, tout en ajustant les pignons à l’arrière pour que l’étagement des vitesses soit régulier. Sur le papier c’est top, cela évite de se prendre la tête et fonctionne plutôt bien sur la route. Cela permet aussi de n’actionner qu’un seul levier de vitesse. Personnellement je ne l’utiliserais toutefois pas dans des situations un peu «tendues», comme la compétition. Un changement de plateau et de pignons alors que l’on ne s’y attend pas, par exemple sur une accélération en voulant « mettre plus gros » ou devant un soudain «raidard» où il faut rapidement « mettre plus petit », peut vite tourner à une belle salade, pire qu’une chaîne croisée quelques instants.
  • C’est un peu pareil avec le «semi-synchonized shifting». Là, c’est le cycliste qui décide à quel moment il change de plateau. Le système se charge d’ajuster les pignons pour réduire le «saut» d’un développement à l’autre. En pratique, j’ai trouvé cela très confortable lors du passage sur le grand plateau, un peu moins dans l’autre sens. Dans tous les cas, cela demande aussi un peu d’anticipation dans son changement de vitesses, le changement simultané de plateau et de pignons pouvant occasionner certains problèmes sous la contrainte.
  • Reste enfin le mode entièrement «manuel», bien qu’électronique, ou vous décidez de tout, plateau et pignon, sans que Shimano ne s’en mêle. Mon préféré tout de même.
  • Là où Shimano fait moins bien, c’est en omettant de fournir un manuel simple pour passer d’un mode à l’autre (il faut appuyer deux fois sur le bouton de fonction situé sur le dérailleur: lumière verte fixe = mode manuel; 2 clignotements verts = mode synchro shift 1; 3 clignotements verts = mode synchro shift 2, les modes « synchro shift » étant définis dans l’application E-Tube.
  • Pareil pour le réglage fin des dérailleurs, expliqué dans la vidéo ci-dessous (en anglais, mais je pense que c’est compréhensible).

En conclusion

Ces dernières semaines, le seul moment où rien ne tournait plus, c’est quand un bout de bois est venu s’enfiler de manière tout à fait improbable dans le pédalier… Autant dire qu’il en faut beaucoup pour mettre à genoux ce nouvel Ultegra, 8100 de son petit nom.

Là, rien ne va plus, mais le groupe n’y est pour rien.

En 2019, sur les routes toscanes de l’Eroica, avec ce vieux vélo qui ne faisait pas un bruit et ses huit vitesses, je me suis demandé de quoi j’avais besoin d’autre? De rien. J’avais le temps, des ravitos copieux et plein d’amis autour de moi. Mais il fallait tout de même bien se baisser pour changer les vitesses, trouver le bon point de friction, bien anticiper… Cela avait bien sûr son charme, mais la vitesse et la précision du changement étaient aussi d’une autre époque. Une époque où les cyclistes ne pouvaient même pas rêver de l’efficacité d’un groupe actuel. Alors aujourd’hui, pour les moments où j’ai envie de me prendre pour un autre, de rechercher les plaisirs nostalgiques d’une époque que je n’ai pas connue, vivent les vélos vintage et tout le cérémonial qui va avec.

Mais pour partir rouler tous les jours, je dois aussi admettre que j’apprécie le modernisme d’un changement de vitesse (sans parler du freinage) contemporain, fût-il électronique. Là une pichenette sur le levier et la vitesse est passée, presque en connexion directe avec le cerveau. Alors oui, on y prend goût. Et, étonnamment c’est presque dans le terrain que l’on apprécie le plus de ne pas devoir «lutter» pour changer de développement. On le fait plus volontiers, c’est rapide, souple et précis tout à la fois.

Et le jour où je connaîtrai une panne, cela me fera toujours penser à ma Volvo…